L’effondrement du tourisme sénégalais, un problème structurel Aujourd’hui qui n’est pas alarmé, inquiet de la situation dramatique que traverse notre tourisme ? Considéré jadis avec fierté comme le second poumon de l’économie de notre pays, avec des résultats honorables, notre tourisme, est aujourd’hui dans une éclipse qui nous prive de ce si bon soleil chaud. Le bon œil est sevré des files indiennes jadis sur les grands artères, de ces braves gens venus visiter notre pays, appareils photo en bandoulière sur les différentes places de la capitale. Nous n’avons en effet plus d’émerveillement à offrir. Le TDV (tour de ville), simple formalité, ne fait presque plus partie du catalogue des excursions. Plus de visages radieux, rêvasseurs à Kermel, au village artisanal, à Gorée etc. Diantre, où sont passées, ces « épicuriens » venus se prélasser sous le soleil émeraude de notre pays, faire le plein des couleurs et lumières du Sénégal ? « Le tourisme m’a tuer » pour emprunter cette graphie incorrecte liée à l’affaire Omar Raddad. De l’avis de voix autorisées du secteur du tourisme, notre flux ne dépasserait pas les 400.000 visiteurs, une opportunité d’ailleurs de se pencher sur la définition du touriste ? Il est considéré comme touriste, une personne qui se déplace entre deux emplacements géographiques pour son plaisir, hors de son lieu de vie habituel, 25 km minimum et qui effectue au moins une nuitée sur place, ce qui le différencie de l’excursionniste qui fait l’aller-retour dans la même journée. Quelle est donc la part du tourisme intérieur vu sous cet angle et celle de l’étranger ? L’amalgame et la confusion totale, viennent de là. Peut-on ainsi dans pareille configuration, avoir un décompte fiable, dans un tel contexte ? Ne dit-on pas que, « la nuit tous les chats sont gris ». C’est l’éternel problème des statistiques sur les foules, sur le nombre de fidèles-pèlerins ou de manifestants lors d’événements politiques ou religieux. Nous avons régressé, est une lapalissade, faute de rêves pour faire rêver, donner l’envie d’avoir envie, faire saliver, car la matérialité de tout bon projet peut selon toute bonne hypothèse, commencer par un rêve. Lequel souvent, peut devenir réalité, une mise en garde d’Albert Einstein. Le président Senghor a eu le génie de rêver, mieux, de rêver en couleurs, de créer un creuset de rencontres de niveau mondial en l’occurrence le Festival mondial des Arts nègres, qui a mis notre pays au-devant de la scène internationale. Nous parlions d’Art, de Culture, nous arborions avec fierté en face des hôtes-visiteurs la quintessence de nos us et coutumes. Bref, le Sénégal, ce précieux modèle, avait de l’avance sur les autres. Notre pays, était le nodal culturel, cinématographique. Notre chute vient surtout de cet héritage mal assumé, mal entretenu. Aujourd’hui, c’est comme du beurre sous le soleil. Nous reste la nostalgie des jours heureux à l’image du paon, ce bel oiseau-dandy, lorsqu’il a envie d’épater avec l’ouverture panoramique de ses plumes, une véritable séquence de séduction. Nous gérons présentement la mort dans l’âme, une Téranga résiduelle, insipide, vidée de sa substance de l’accueil à nul autre pareil, assortie de somnolence pour booster notre tourisme. A cet égard, il n’est pas inopportun de faire un tourisme comparatif du côté de pays frères, pour avoir une idée de l’effondrement de notre tourisme mais aussi comme pour saluer les progrès réalisés par ces pays. Prenons le cas de la Côte d’Ivoire qui a accueilli 668.000 de touristes en 2020, elle est au 89e rang mondial en termes absolus. Elle est considérée certes comme un petit pays du point de vue des destinations dites majeures, mais elle s’en sort avec des résultats fort élogieux depuis dix ans en dépit d’une guerre. La Tunisie, en 2021, est le pays le plus visité en Afrique avec plus de 13,7 millions de touristes, de 5 millions de moins pour avoir la population du Sénégal, suivie du Maroc avec plus de 12,1 millions de visiteurs en 2021, et de l’Égypte qui a compté plus de 9,3 millions de touristes en 2021. Si l’on rapporte le nombre de touristes au nombre d’habitants du Sénégal, on obtient une image un peu plus comparable : avec 0,079 touristes par habitant. Nous sommes 21ème en Afrique derrière le Ghana 11ème, le Rwanda 12ème, le Cap-Vert 20ème et 145ème mondial. Nous ne devançons la Gambie malgré son faible potentiel touristique que de 5 points et le Mali de 9 points. Alpha Blondy soutenait que « l’ennemi de l’Afrique, ce sont les Africains », une prison de turpitudes où l’on n’en sort jamais. Nous n’avons jamais l’humilité de décliner des offres de poste, au nom de l’égo, de l’influence qu’il pourrait procurer et surtout au nom de l’aspect alimentaire. L’on accepte volontiers de briguer un poste offert, car à la vérité, le secteur du tourisme est peu connu de nos gouvernants. Le Sénégal, ne croit pas de manière absolue au Tourisme ou si c’est le cas, ne s’en donne pas les moyens. Le premier obstacle, est d’abord d’ordre structurel, du fait d’un management toujours confié à des néophytes. Le secteur du tourisme est devenu hélas au fil du temps très technique comme la santé, comme la douane, ou les impôts, des secteurs vitaux de notre économie qui n’ont jamais été managés par des politiques pour étayer les dysfonctionnements administratifs et le non-respect des strates. Pour le politique, le tourisme est devenu, une banale affaire, de l’accessoire aux yeux de nos gouvernants que n’importe qui peut le gérer. On n’est pas fort en thème pour rien dans ce pays. Toute l’ossature du cabinet, est politique, le personnel politisé et à l’arrière court, enfin des techniciens qui rarement, ont voix au chapitre. Le peu de considération, davantage l’ignorance du secteur, sont jusqu’ici à la base de l’errance, de ce pilotage à vue permanent. Dans le subconscient des « managers », tourisme rime avec voyages, avec une promenade recommencée de l’esprit, nonobstant les fondamentaux du secteur. On voyage sans retenue aux frais du contribuable, soit disant en quête de nouveaux marchés, pour les résultats que l’on sait, pour être 145ème au plan mondial et environ, moins de 400.000 touristes pan an. Il est temps de marquer une pause, d’auditer ce secteur, de définir un autre mode de fonctionnement. Mais, c’est surtout l’affairisme qui n’est pas en reste dans le management du secteur. En effet, les différents cabinets ministériels ont rarement été indépendants dans leur mode de fonctionnement, car capturés par des « indispensables, des thaumaturges » qui croient être l’Alpha et l’Omega de l’émergence du secteur. L’exemple le plus éloquent, l’un des bijoux de famille de ce pays, est le Méridien-Président, aujourd’hui dans une amorce de vieillissement, loin de son lustre d’antan, victime d’affairisme avec hélas, l’aval de l’État. Cette prestigieuse infrastructure hôtelière, a aujourd’hui tous les traits d’une belle au bois dormant avec une chute drastique de réservations, essentiellement due à une approche peu inventive dans la vente de l’offre hôtelière, à une gestion autocratique dans la gestion, d’inspiration chiraquienne « un chef, c’est fait pour cheffer » sans retenue, faisant fi de la compétence, de l’expertise du personnel en place. Et souventes fois, dans le top management de l’hôtel, face aux exactions à l’encontre du personnel, il y a jusqu’ici, une situation d’impunité bénie par les Autorités et il n’y a guère, des licenciements abusifs au prétexte d’un covid peu favorable aux affaires en dépit de la perfusion, le crédit hôtelier notamment. On fera l’économie d’une analyse circonstanciée sur la chute de ce bijou où seuls y sont logés aujourd’hui pour la plupart, les hôtes de l’État ou l’organisation des cérémonies. La bonne santé d’autres établissements hôteliers sur la corniche et d’ailleurs mieux côtés que le Méridien, prouve à suffisance la situation déplorable de ce ex établissement-culte de l’hôtellerie. Il est vrai qu’au manque d’expertise et de politique pertinente de promotion de la destination, au cabinet et ses démembrements, s’est imposée presque de force, l’indispensabilité du « groupe des sept » appellation triviale dans le jargon du secteur. Plus de vingt ans, ils entonnent le même refrain de « développement », appliquent les mêmes ruses, font dans des incantations sonores et au bout du cirque, ce sont « des résolutions-solutions infaillibles » dont l’aboutissement, n’est jamais innocent. La face cachée de l’iceberg est toujours lucrative, bassement alimentaire telle : la création de « Cluster Sénégal » pour la collecte de fonds soit disant pour animer des ateliers et des actions dans le tourisme, comme cet inénarrable Cst, entendez « Conseil supérieur du Tourisme » avec un organigramme sur mesure et excusez du peu l’euphémisme : la bien pensance aux postes juteux, du fric sous l’égide des mêmes « défenseurs du tourisme ». Un Cst dont la mission, les sept articles dudit conseil, selon le décret, est « d’aider » l’Aspt (Agence sénégalaise pour la promotion du Tourisme) « à mieux accompagner ses efforts de sensibilisation des structures d’hébergement touristiques pour la mobilisation et le recouvrement des taxes ». Voilà encore du prêt à porter qui sent l’oseille sur le dos des contribuables. Un Conseil supérieur du Tourisme d’ailleurs pourquoi faire ? Quelle est cette utilité d’ajouter du Bazard au Bazard, quand tout un secteur bat de l’aile, lorsque l’hôtel Savana Dakar ferme, quand ce pays manque d’une école supérieure de Tourisme, quand l’on peine à trouver une formation de top niveau pour faire face demain au tourisme haut de gamme, lorsque l’on a toute les peines du monde à trouver un stage à fortiori un emploi ? L’État, notamment, les futurs candidats ont l’obligation de se pencher sur ce secteur, qui offre aujourd’hui peu de visibilité pour sa pérennité, de stopper l’incurie, la gestion clanique, politicienne du secteur. A propos de la gestion du pays, nous ne ferons pas dans du nihilisme de mauvais aloi. Loin s’en faut, nous saluons avec respect dans l’ensemble, le bilan plus qu’honorable du président de la République Macky Sall. Nous souhaitons même vivement pour le futur, au nouvel élu, la consolidation des acquis, sauf à lui suggérer aussi, humblement, des ruptures intrinsèquement axiologiques, fondamentales dans certains secteurs où la compétence, le sens républicain, la gestion concertée avec les vrais acteurs du microcosme touristique, doivent être les premières mesures à prendre, signe qu’il est temps de renverser la table. L’appel à candidature, dans les changements de paradigme, devrait plus que jamais, être inscrit dans l’ordre des choses, question d’équité citoyenne. Sinon, c’est amplifier la demande sociale dans le secteur, faute de touristes et subséquemment d’emplois, c’est également hisser à la crête, la colère de la jeunesse, augmenter l’émigration et surtout faire, sans l’ombre d’un doute et qui sait dans la durée, le lit d’une gilet-jaunisation des revendications.
El Hadji Ndary GUEYE
Journaliste-consultant en ingénierie touristique