CONTRIBUTION: L’Action sociale et les mutations socio-politiques : s’adapter ou périr

​Lorsque l’Action sociale et la Santé furent à nouveau réunifiées en 2012 après 15 années de séparation, certains acteurs des deux secteurs applaudirent. D’autres restèrentperplexes, frileux et sceptiques du fait d’une valse incessante de la Direction de l’Action sociale d’un ministère à un autre et d’un premier compagnonnage non bénéfique avec la Santé jusqu’en 1997. Il faut dire qu’elle a toujours été malmenée et utilisée comme instrument pour appâter les bailleurs de fonds avant d’être jetée à la poubelle, mais également comme prétexte pour dilapider des ressources publiques sous le couvert d’œuvres sociales caritatives. Ainsi l’Action sociale passa-t-elle d’un ministère à un autre sans aucune visibilité de ses actions, car vidée de son contenu. Sans aucune possibilité de jouer véritablement un rôle efficace dans la politique de protection sociale. Pour illustration, il a été constaté – dans les années 90, période pendant laquelle l’Action sociale et la Santé ont cheminé dans une même entité ministérielle – queles volets la concernant avaient été pris en compte dans le Programme de Développement Intégré de la Santé (PDIS). En 1997 marquant le début d’exécution du PDIS et coïncidant avec l’avènement des transferts de compétences aux Collectivités locales, les deux secteurs furent à nouveau séparés avec la création du ministère de la famille et de l’enfance. Par souci de bonne gouvernance, les bailleurs de fonds refusèrent catégoriquement le transfert des fonds de l’Action sociale du ministère de la santé vers celui de la famille. L’Action sociale perdit ainsi sa part du PDIS, malgré les efforts consentis par le ministre de la Famille de l’époquepour la récupérer.               

Cette valse continua avec l’avènement de l’alternance en 20000. Plusieurs combinaisons se sont opérées sous le régime du Président Wade : Ministère de la Famille et dudéveloppement social, Ministère de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, Ministère du Développement social et de la Solidarité nationale, Ministère de la Famille, du Développement social et de l’entreprenariat féminin, Ministère de la Solidarité nationale, etc. La Direction de l’Action sociale, bras technique de la politique de protection sociale passa d’un ministère à un autre selon des formules inadaptées et souvent clientélistes. Des formules qui ne prenaient pas en compte l’avis des acteurs de l’Action sociale malgré les recommandations des Assises nationales sous l’égide du Syndicat national de la santé et de l’Action sociale (SUTSAS).  

Au niveau local, les transferts de compétences de l’Action sociale ont fait que des fonds de secours aux nécessiteux sont alloués aux collectivités locales. Ces fonds, dans certaines Collectivités locales, étaient gérés de façon nébuleuse et loin des Services techniques de l’Action sociale à la base. 

La Solidarité nationale comme nouvelle formule du régime du Président Wade, a été mise en exergue depuis 2003 et pratiquée suivant une formule inadaptée. Cette solidarité s’était exclusivement focalisée sur la distribution de vivres et l’assistance aux sinistrés.

Or le concept d’Aide sociale primitif, même s’il est maintenu pour certaines catégories sociales, a évolué pour épouser les contours d’une Action sociale plus dynamique  tournée vers l’autonomisation et la réinsertion sociale des groupes vulnérables. Une Action sociale accompagnatrice qui aide les groupes vulnérables à s’organiser, à trouver eux-mêmes les voies et moyens de se prendre en charge, à promouvoir leur autonomie et, à la longue se passer de l’assistanat. Les assises nationales de l’Action sociale avaient bien formulé des recommandations dans ce sens. Il était même question de s’inspirer du modèle Tunisien de solidarité nationale. 

Malheureusement dans la pratique, le concept de solidarité nationale n’a pas imprimé ses marques. Ce modèle n’a pas été exécuté tel que conçu et pratiqué en Tunisie. Le Sénégal l’a mal adapté dans son contexte. À la limite, le gouvernement hérita même des tares du système tunisien que le docteur en économie politique Beatrice Hibou, Directricedu Centre national de recherche scientifique (CNRS) en France appelait « une gestion clientéliste de la ressource ». Selon ce spécialiste « Il n’a eu en Tunisie ni grille de répartition des ressources, ni évaluation des actions menées. Ce qui laisse craindre, plus qu’une non redistribution effective, une gestion clientéliste des ressources. La solidarité est instrumentalisée dans ce pays par le pouvoir, afin de renforcer son contrôle sur la population, en déterminant les « bons » et les « mauvais » pauvres, en canalisant les pratiques de charité, en renforçant le quadrillage de la société par le parti dont les cellules locales sont notamment chargées d’identifier les récipiendaires ». 

Jusqu’en 2012, le même scenario a fonctionné au Sénégal. La solidarité nationale et ses fonds n’avaient pas servi qu’à une clientèle particulière. Pourtant une bonne dynamique était enclenchée au départ, notamment avec le premier et lucratif téléthon organisé par le Ministre FarbaSenghor, à l’époque ministre délégué à la solidarité nationale. Téléthon qui, jusque-là n’a jamais fait l’objet de bilan. 

L’ancien régime de Wade venait de briser un élan, un esprit noble qui en réalité, avait réactivé les réseaux traditionnels de solidarité qui faisaient partie de nos valeurs sociales. Des mains inexpertes se sont emparées du secteur en le détournant de sa mission première. 

Telle que appliquée sous le régime de Wade, la solidarité nationale a littéralement délaissé ses ambitions premières en se focalisant sur une seule approche : la distribution de vivres aux nécessiteux. Pire, ces distributions ont été sélectives et sectaires et s’opéraient loin des sphères techniques déconcentrées de l’État (Centres de Promotion et de réinsertion sociale) et avec des pilotages à vue. 

​Avec le régime du Président Sall et sous l’impulsion du Ministre de la Santé et de l’Action sociale, l’espoir était permis avec de nouvelles orientations :

•​l’amélioration du dispositif institutionnel à travers la création :

➢ d’une Direction générale de l’Action sociale ;

➢ de trois (3) Directions nationales dont une médico-sociale chargée de la prise en charge médicale des indigents.

•​l’élaboration d’un Plan stratégique de l’Action sociale (2015-2024) en vue de prendre en charge des multiples facettes de la vulnérabilité, dans le cadre de la Protection sociale articulée autour des axes stratégiques du Plan Sénégal émergent (PSE).

Malgré la volonté politique de faire de la Protection sociale un levier pour améliorer le bien-être social, son émiettement dans des secteurs ministériels différents a considérablement réduit les champs de compétence de l’Action sociale. 

Au sein de son Ministère de tutelle, elle n’a pas non plus disposé de tous les leviers pour jouer pleinement sa partition dans la politique de Protection sociale des groupes vulnérables: budget insuffisant (moins de 1% du budget du Ministère), confinement à la routine, prolifération d’intervenants sociaux incontrôlés (ONG, RSE, Collectivités territoriales, etc), services déconcentrés négligés, désertion de cadres ostracisésetc. 

L’Action sociale, malgré les efforts des agents est toujours canalisée dans des actions routinières moins novatrices. Les deux principaux objectifs d’autonomisation des groupes vulnérables et d’assistance médicale aux indigentsnous ont semblé très réducteurs par rapport à l’ampleur des besoins. 

La carte d’égalité comme instrument de lutte contre les inégalités et l’iniquité ne sert pas grand-chose dans l’accès gratuits aux services sociaux de base. Idem pour les subventions sans suivi et sans évaluation d’impact. 

Quant à l’assistance médicale, la faiblesse des fonds de garantie alloués pose un problème d’équité territoriale et sociale. Les possibilités de couverture territoriale et de ciblage des indigents bénéficiaires de soins de santé sont réduites. Les ressources s’épuisent généralement au courant du troisième trimestre de l’année. Or, selon le principe de justice distributive, la répartition des dépenses publiques de santé en faveur des plus pauvres doit être équitable. Elle justifie du reste la création au sein de la DGAS d’une Direction de l’Action médico-sociale. Si l’accès aux soins ou aux structures de soins doit être donné à ceux qui sont défavorisés en termes de revenus ou d’état de santé, l’allocation de ressources pour une meilleure couverture, selon le principe de justice distributive doit être une priorité dans les arbitrages budgétaires. Elle améliore le panier de services de soins, le ciblage des bénéficiaires et booste les indicateurs.

​Aujourd’hui, une nouvelle aire doit s’ouvrir à l’Action sociale. Il s’agit de sortir du confinement pour asseoir des programmes plus soutenus axés sur les besoins réels des groupes cibles et en conformité avec les politiques publiques.

En effet, les groupes cibles ont des besoins qui évoluent en fonction des mutations sociales. La démographie galopante, la rareté des ressources, les changements climatiques (causes des catastrophes naturelles), les technologies nouvelles sont autant de sources de vulnérabilité qui appellent à une réadaptation des politiques publiques en direction des couches sociales vulnérables. Les défis doivent tendre vers :

-plus d’accès des couches vulnérables à la santé, à l’éducation, à la formation professionnelle et à l’emploi ;

-Un meilleur accompagnement psychosocial et la protection de groupes vulnérables y compris les victimes de catastrophes;

-une promotion de la santé et la prévention des risquesplus soutenue.

Pourtant une bonne stratégie avait prévalu mais négligée. Des Centres spécialisés ont été créés à Bambey (Formation professionnelle), Kaolack (Réinsertion sociale de malades mentaux), Bignona (Accompagnement des enfants déficients mentaux) et Darou Mouhty (Réinsertion socio-professionnelle des toxicomanes).

Ces structures n’ont jamais atteint la plénitude de leur mission faute jusque-là de statuts, d’un ancrage institutionnel et de ressources à la dimension de leurs missions. Pire, celui de Kaolack, spécialisé dans la réinsertion sociale de malades mentaux, a été mis à la disposition de l’ASSAM par le Président Macky Sall pour des raisons inconnues.  L’octroi d’une telle structure de l’Etat à un privé sans aucun contrat de partenariat public-privé et lui doter de moyens financiers colossaux (500 millions) est une atteinte à la dignité des vaillants professionnels qui triment dans les services techniques à la base avec des moyens dérisoires. 

La prise en charge des malades mentaux, selon l’OMS doit être globale. Elle implique le traitement, l’accompagnement psychosocial et la réinsertion.  Elle est encadrée par des lois et des normes et ne saurait être laissée, pour des raisons politiques, entre des mains inexpertes. 

Le Gouvernement actuel doit s’atteler à:

• reformuler les programmes d’Action sociale ;

• renforcer la Direction générale de l’Action sociale (DGAS) ; 

• professionnaliser les interventions sociales;

• Améliorer les conditions de travail des acteurs à la base ;

• revaloriser la profession d’Assistant social à l’instar de la France où les Assistants du service social sont recyclés à la hiérarchie A2 depuis 2019.

• Alioune Seck, Assistant social de classe exceptionnelle

• Master professionnel en Administration de santé

• Kaolack

• Tel : 77.564.74.25

• E.mail : seckbayekl@gmail.com