Fils ainé de Elhadj Momar Sock et de Thilal Diop, tous originaires de Louga, mon regretté compagnon de lutte, ami et frère Mademba Sock, né le 16 août 1951 à Louga est décédé à Paris dans la nuit du vendredi au samedi 15 juin 2024. Son enterrement a eu lieu à Dakar, le jeudi 20 juin 2024 au cimetière Musulman de Yoff. Son papa, agent de la Senelec fit venir sa maman à Dakar quartier Kaye findiw, avenue Faidherbe, derrière Matforce au mois de novembre, juste trois mois après la naissance du jeune garçon. Vers 1959, avec les programmes de logement Sicap Jet d’eau, il rejoint la villa 1927 Sicap Liberté 3. Et c’est là que le jeune Mademba grandit avec une scolarité très perturbée liée certainement à son tempérament bouillant: Ecole Faidherbe puis Baobab1 pour le niveau élémentaire, Lycée Blaise Diagne après l’entrée en 6e jusqu’à la classe 4 eme, Saint Michel pour la classe de 3 eme, collège Sacré Cœur pour la 2nde. Il fut transféré par son père au lycée Faidherbe de Saint Louis pour la classe de première et revient l’année suivante à Vanvo pour la Terminale. Il échoue au Baccalauréat série D(S2) et se présente à nouveau l’année suivante en candidature libre à la série A. Il obtient le diplôme et s’inscrit en faculté de Droit à l’université de Dakar. Il fut recruté en 1975 à la Senelec avant la fin de ses études universitaires au service des salaires pour payer les journaliers. Ce fameux parcours scolaire et universitaire donne déjà une idée du tempérament de Ngagne Sock comme l’appelait ses proches. Il fut aussi un grand footballeur dans les années 1968 et connut une fracture de la jambe et c’est pour cette raison que son père l’obligea à quitter définitivement le terrain.
1- Mademba Sock, parcours professionnel de 50 ans sans interruption au service de la Senelec et des travailleurs
Il fit toute sa carrière professionnelle à la Senelec accompagné d’une formation continuée en comptabilité. Il y avait trois catégories de travailleurs dans cette entreprise: Ouvriers exécutants avec les hiérarchies: E3, E4 et E5; Agents de Maîtrise: M0, M1, M2, M3….M5;
Cadres: C1, C2, ……C5, seul le Directeur général est hors Catégorie.
Après avoir été chef de service au niveau des salaires, Mademba a parcouru les autres catégories professionnelles avant d’être licencié avec 25 de ses camarades lors de la grande grève du Sutelec de juillet 1998 alors qu’il était à la catégorie cadres C3.
– Un syndicaliste audacieux, téméraire et éloquent, spécialiste de formules chocs
Excepté le Syndicat unique et démocratique des enseignants du Sénégal(SUDES) créé le 20 avril 1976 après l’ouverture démocratique qui a vu la création du Parti démocratique Sénégalais (PDS ) en 1974, toutes les autres organisations syndicales étaient affiliées à la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS), centrale syndicale unique intégrée à l’Union progressiste sénégalaise (UPS) parti unique rebaptisé Parti socialiste (PS) en 1976 à la faveur de son affirmation à l’Internationale socialiste. L’Union des travailleurs libres du Sénégal (UTLS) proche du PDS fut créée en 1977 et mit fin au monopole de la participation responsable.
Mademba Sock était donc avec les autres travailleurs de la Senelec à la CNTS à travers le Syndicat national des travailleurs de l’électricité du Sénégal ( SYNTES).
Avec la crise économique au milieu des années 1970(sécheresse et augmentation du prix du pétrole) avec les premières mesures de redressement dans le cadre du Plan d’Ajustement Structurel (PAS) de 1979, une première grève éclate à la Senelec. Madia Diop alors président du bureau régional de Dakar de la CNTS dirigée à l’époque par Babacar Diagne, vint présider une assemblée générale des travailleurs de la Senelec. C’est à cette occasion que Mademba est vu publiquement pour la première fois à la tribune remettant la plateforme revendicative au leader syndical de Dakar. C’est à partir de ce leadership qu’il a quitté le Syntes considéré comme peu combatif pour créer avec la majorité des travailleurs un nouveau syndicat autonome, le Syndicat unique des travailleurs de l’électricité (SUTELEC ) dont le premier secrétaire général est Oumar BA, entouré de Malick Diallo, Babacar Cissé et lui même.
Mademba Sock le remplace à la tête du syndicat en 1987. Entre temps, prenant l’exemple sur le Sudes qui connut aussi une double scission, d’autres syndicats autonomes naissent: le Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale (SUTSAS), le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (SAES), le Syndicat autonome des travailleurs de la justice (SATJUS), le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (SYNPICS), le Syndicat démocratique des technicien du Sénégal(SDTS), l’Union des travailleurs du Sénégal (UTS), le Syndicat unique des travailleurs de la Sotrac (SUTS, le Syndicat national des travailleurs de la poste et des télécommunications (SNTPT), l’Union démocratique des enseignants (UDEN), etc. Ces organisations créent entre elles la Coordination des syndicats autonomes (CSA) en face de la CNTS dirigée depuis 1982, avec le triomphe de la ligne du Renouveau syndical, par Madia Diop. Ces organisations adeptes de l’indépendance et de l’autonomie syndicales se concertent et décident de convoquer une conférence syndicale unitaire le 16 février 1990 au siège du Sutelec Des divergences profondes surgissent entre deux groupes sur principalement les rapports avec la CNTS qui est adepte de la participation responsable.
Finalement le Sutelec, l’UDEN, le SUTSAS, le SNPT et le SAES optent pour la création d’une centrale autonome alternative à la CNTS et d’autres comme le SUDES, le SDTS, le SUTS, l’UTS partisans d’une coopération et unité d’action avec la CNTS, continuent dans cadre souple d’une coordination à travers la CSA qui se rapproche de la centrale gouvernementale. Les deux organisations négocient ensemble avec le patronat et le gouvernement et obtiennent l’autonomie de gestion l’IPRES et la caisse de sécurité sociale avec une présidence tournante des conseils d’administration des deux institutions.
Le Synpics non aligné entre ces tendances reste un syndicat professionnel libre indépendant de toute centrale ou confédération syndicale. Après quelques mois d’actions communes marquée par la première grande grève du Sutelec en 1990 sous la direction de Mademba Sock qui d’imposer ses marque de rentre incontournable son organisation pour la fourniture normale de l’électricité au Sénégal. C’est revigoré par cette victoire du Sutelec et renforcé par les acquis du SAES dans le supérieur que le premier groupe partisan d’une centrale combattante et opposée radicalement à la ligne « participationiste » se réunit en congrès constitutif de l’Union des syndicats autonomes du Sénégal (UNSAS) à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar le dimanche 1er 1991. Mamadou Ndoye ancien secrétaire générale du Sudes et alors secrétaire général de l’Uden, président de la plénière déclara au moment de l’élection du Bureau « Je vais imposer une dictature armée d’une certaine légitimité, je propose Mademba Sock secrétaire général de l’UNSAS ». Applaudissements et élection à l’unanimité.
Trois événements majeurs peuvent entre autres exemples donner une idée du courage, la détermination et la personnalité du syndicaliste Mademba Sock
– Après la création du Sutelec en 1981 suivie de la publication d’un Livre Blanc sous le titre évocateur inspiré par Mademba de « Sonner le tocsin », le Directeur général de la Senelec lui proposa le poste de chef du recouvrement, étant donné que le principal problème posé par les syndicalistes dans le mémorandum était lié à cette question. Mademba rejeta la proposition pour éviter d’être accusé d’avoir profité de sa position syndicale pour avoir une promotion. Il a fallu l’intervention du Président Abdou Dioul lui demandant d’être conséquent avec lui même et d’assumer pour qu’il accepta le poste. Avec l’ampleur des arriérés de factures de l’État , de ses services et d’autres entreprises, Ngagne ,par fax, décida un 31 décembre et sans l’avis de son chef, de couper le courant dans toutes les régions y compris l’université de Dakar, il menaça même l’Assemblée nationale et Diouf intervient personnellement. Ce jour, la Senelec eut 13 milliards d’entrée de fonds! Voilà un des traits distinctifs de la personnalité de l’homme Mademba Sock.
– Avec la gravité du déficit budgétaire, le gouvernement avait institué l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) puis la taxe complémentaire de 5%. Ce qui provoqua la grève de décembre 1990 suivie des négociations avec le retrait de la taxe de 5%. La crise s’est poursuivie avec le plan Sakho/Loum jusqu’à la grève générale et la journée morte du 2 septembre 1993 avec l’ensemble des syndicats du Sénégal. Malgré le recul du gouvernement sur plusieurs questions, l’UNSAS poursuit des plans d’action avec le mot d’ordre « Ne touche pas à mon salaire » jusqu’à la dévaluation de 50% du franc CFA par les autorités françaises le 11 janvier 1994.
– le processus de privatisation de la Senelec demandée par le bailleurs de fonds et rejeté principalement par le Sutelec avait abouti à la signature du protocole d’accord de 1997 non respecté par le gouvernement et ce qui a conduit à la démission du ministre de l’économie et des finances Pape Ousmane Sakho considéré comme l’homme des Institutions de Bretton Woods. Il fut remplacé par Mamadou Lamine son ministre du budget. La décision d’une privation du commercial uniquement avec Elyo Hydro Québec provoqua la grève générale et active du Sutelec de 1998 accompagnée de plusieurs coupures de courant et les pannes des centrales de Kahone et Kolda.
Mademba Sock fut arrêté le 20 juillet 1998, jugé le 8 décembre de la même année et condamné à 6 mois de prison ferme. Il fut libéré le 22 janvier 1999 mais licencié avec 25 de ses camarades.
Candidat à l’élection présidentielle de 2000, il récolta 1% de l’électorat au premier tour, ce qui n’empêcha pas Maître Wade de monter les escaliers de son domicile Liberté 6 pour lui demander son soutien et ses attentes en cas de victoire au 2e tour. Son unique réponse fut la reprise de ses 25 camarades licenciés mais que lui personnellement, il parviendra toujours à trouver du travail.
Après sa victoire, Abdoulaye Wade tient parole avec la réintégration à la Senelec des 25 et le remboursement des 2 ans d’arriérés de salaire. Cependant Mademba Sock est nommé au même moment Président du Conseil d’Administration ( PCA ) de l’Agence sénégalaise des énergies renouvelables (ASER), alors qu’il était en visite privée aux USA.
Il occupa ce poste jusqu’à sa disparition ce samedi 15 juin 2024, à Paris vers 00h30mn.
Tout en restant secrétaire général de l’UNSAS, il a été aussi président de l’IPRES ( en renonçant à son salaire pour un mandat). A son décès, il était encore membre du conseil économique, social et environnemental (CESE) président de la commission santé et affaires sociales, Président de la caisse de sécurité sociale et coordonnateur de la convergence des syndicats des travailleurs de Senelec (CSTS) qui regroupe les six syndicats de travailleurs de la Senelec.
Après avoir été réélu une dernière fois au congrès du Sutelec des 2 et 3 mars 2015 avec des contestations provoquant la scission du syndicat, il quitta définitivement la tête du syndicat en 2018 après 31 ans à ce poste.
Il avait annoncé publiquement son départ de la direction de l’UNSAS au prochain congrès après avoir acheté un siège pour la Centrale avec une subvention de l’Etat sous Abdoulaye WADE au lendemain des élections de représentativité des centrales syndicales de 2011 où l’UNSAS est sortie deuxième après la CNTS.
Mademba Sock que nous venons de conduire, ce jeudi 20 juin 2024, à sa dernière demeure à Yoff après la prière sur le cercueil à la mosquée de Dieupeul en présence des milliers d’amis, camarades, parents, autorités religieuses et étatiques , partis politiques, syndicatss, patronat et autres citoyens anonymes et sans compter la présence massives des femmes à son domicile de Liberté 6 n’a jamais renoncé au combat même face à sa maladie qu’il a subie et combattu sans jamais abdiquer.
Fils aîné, il a assumé cette de grandes responsabilités sociales surtout après la disparition de son père le samedi 10 mars 2007, 3 jours après la tabaski et lui est parti aussi un samedi 3 jours avant la fête du sacrifice. Ce 10 mars, toute la famille réunie lui déclara que « c’est toi qui a perdu ton père, nous, notre papa est vivant comme vous êtes là ». Il assuma cette lourde tâche avec sa propre famille, ses frères et sœurs, nièces et autres cousins. Une générosité ouverte à tous ceux qui l’ont connu et approché.
Avec sa rigueur, Sock est toujours à son bureau même en tant que PCA à 7h du matin comme un employé ordinaire et cela jusqu’à ses derniers jours malgré sa souffrance avec le mal qu’il traîne depuis quelques années.
Mes condoléances à ses épouses Ndeye Matou Niang la pharmacienne, Fatou Diop la fille de Fambaye Fall Diop et Viviane Preira dit Vivi et leurs enfants, dont particulièrement l’aînée Anta SOCK, ingénieure en informatique en France qui a depuis Paris, accompagné son cher papa Ngagne Sock, au nom de toutes et de tous, jusqu’à son dernier souffle.
À son jeune frère, mon ami pape Alé Sock, son cadet de 8 ans qu’il a élevé et qui fut son confident de toujours;
À tous ses compagnons de l’UNSAS, du Sutelec et la CSTS.
Le syndicalisme a perdu un monument, le pays un patriote et digne fils du Sénégal.
Kalidou Diallo, historien du mouvement syndical,
Ancien secrétaire général du SUDES,
Ancien ministre conseiller sur les syndicats à la présidence la République
Ancien ministre de l’éducation nationale
Chevalier de l’Ordre national du Lion