Les assises de la Justice, organisées du 28 mai au 4 juin 2024, au Centre international de conférences Abdou Diouf (CICAD) de Diamniadio, ont réuni professionnels de la justice, représentants de l’État, organisations de la société civile et partis politiques. Leur objectif était d’identifier les dysfonctionnements du système judiciaire et de proposer des améliorations. Le jeudi 4 juillet, les conclusions de ces concertations ont été remises au président de la République Bassirou Diomaye Faye, au palais de la République. L’évidence vous propose les consensus forts ainsi que les dissensus.
Cette volonté de rupture collective s’est exprimée à travers l’unanimité et les consensus forts obtenus autour d’une grande majorité de questions :
1. la centralité de l’éthique et de la déontologie qui doivent guider les pratiques des acteurs ;
2. la transformation du Conseil constitutionnel en une Cour constitutionnelle qui serait la juridiction suprême du pays ;
3. la création d’une Haute Autorité de la Justice, institution constitutionnelle au sein de laquelle acteurs et usagers vont désormais assurer un contrôle du bon fonctionnement du système judiciaire ;
4. l’instauration d’un Juge des libertés et de la détention en vue de garantir le respect des droits des personnes arrêtées dans le cadre d’une procédure pénale et présentées devant la justice ;
5. l’effectivité d’un véritable service d’exécution des peines et de l’aménagement des peines avec une autonomisation des fonctions du juge de l’application des peines (JAP) ;
6. la formulation d’une politique de numérisation de la Justice afin d’optimiser les processus, d’améliorer l’accessibilité, la transparence et l’efficacité des services judiciaires et sa mise en œuvre ;
7. l’institution d’une Commission permanente de réforme des textes pour réviser les principaux codes du Sénégal et tendre à l’idéal d’un ensemble législatif dans l’objectif de moderniser le corpus juridique tout en favorisant la cohérence d’ensemble ;
8. la nécessité de faire des efforts structurels en faveur de la justice (financement, ressources humaines, infrastructures).
9. la réforme structurelle du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) pour lui conférer plus de liberté et d’indépendance avec un nombre égal de membres de droit et de membres élus et un statut administratif qui assure son autonomie financière et organisationnelle.
10. l’amélioration du dispositif de réddition des comptes, y compris la consécration d’un régime de protection des lanceurs d’alerte, et le renforcement de la la lutte contre la criminalité économique et financière.
11. la création d’une Direction de la communication et des relations publiques au Ministère de la Justice.
12. le renforcement de la protection des droits des citoyens au cours des enquêtes de police et de gendarmerie
13. Le renforcement du régime de protection de l’enfance et de l’efficacité de la Justice juvénile.
Les points de désaccords majeurs entre participants sur les réformes à introduire étaient essentiellement liés au statut de la magistrature. Il s’agit principalement de la réorganisation du CSM, notamment la présence ou non du Président de la République et du Ministre de la Justice en son sein, son ouverture à des personnalités extérieures qualifiées, questions qui ont fait l’objet d’âpres discussions. De manière générale, deux tendances se sont dégagées entre les tenants de la sortie de l’Exécutif du CSM et les défenseurs du statu quo. Pour les tenants de la sortie, il s’agit là du premier jalon vers l’édification d’un pouvoir judiciaire réellement indépendant et assumant sa fonction régulatrice de la société. Pour les tenants du maintien de la situation actuelle, le plus important est de procéder à une restructuration de la composition du CSM avec une égalité arithmétique entre membres élus et membres de droit. Les deux camps ont adopté les mêmes positions relativement à la question de l’ouverture ou non du CSM à des personnalités extérieures. Les tenants de la sortie de l’Exécutif accueillent cette ouverture positivement puisqu’elle serait, selon eux, de nature à éviter l’entre-soi, le corporatisme, la gérontocratie, le copinage et l’existence d’un éventuel « gouvernement des juges ». Le « devoir de justification » devant des membres extérieurs avec voix consultative serait une contrainte de nature à favoriser la transparence dans la gestion des carrières des magistrats. Cette ouverture permettrait, à leur avis, de renforcer la crédibilité et l’indépendance du pouvoir judiciaire auprès des citoyens. Les partisans du maintien en revanche, optent pour un CSM formé exclusivement de magistrats excepté la présence du Président de la République et du Garde des Sceaux. Ils se fondent sur la particularité de la carrière des magistrats notamment, pour arguer de l’inopportunité d’y associer des personnes extérieures.