THIONE BALLAGO SECK: 4 ANS DÉJÀ : Me Djibril War rend hommage à « ami »

Je me souviendrai toujours de ce dimanche 14 mars2021. Il est vrai que depuis, deux êtres qui nous étaient très chers vous ont rejoint dans votre dernière demeure : notre compagne des jours sombres, notre chère épouse, adja Kiné Diouf la sainte  , pour sa fidélité, sa foi , son endurance, notre fille MoumySeck Gueuye, digne héritière  de sa mère par ses qualités , épouse de Bougane Dany Gueye.   Les images de ce long dimanche défilent encore devant mes yeux embués. C’est comme si c’était aujourd’hui. 

. La vie des bonnes gens ne nécessite point qu’on en parle. Elle parle d’elle-même.Thione s’il était permis de le faire, sans risque de nous tromper, je dirai ceci de toi Thione . Populaire, tu es resté peuple. Tu n’ajamais chanté, bonne naissance oblige, cet air du temps qui s’appelle l’arrogance, snober ses anciennes connaissances. Cette foule composite d’hommes,  de jeunes, adultes, vieux,  de conditionsociale aisée comme modeste,   qui avait tenu à t’accompagner pour  ton ultime voyage , dans la douleur, le désarroi , surtout  en cette période de  Covid le  confirme bien. Sur leur visage se lisaient avec leur regard éploré la tristesse et le désespoir. Au même moment, on notait cette même ambiance dedésolation partout au Sénégal et dans la Diaspora que tu connaissais trop bien, étant  Ambassadeur.

. Devant ta tombe les images vivantes de vieux souvenirs d’une amitié de  près de quarante ansdéfilent devant mes yeux éblouis et mon esprit brouillé comme un film . Du mythique Miami, au Baoabab Club , Rules Jules Ferry  , notre génération de jeunes lycéens bringueurs « noceurs » de la belle époque des années 70 t’avait suivi partout commel’étoile filante des Rois mages en Galilée  , emportés par cette voix unique, dansant tes morceaux fétichesd’alors « Seye, Mariage  » ,« Domou Baye, (demi frères). Des années plus tard, nos chemins se sont à nouveau croisés en Normandie, là-bas au Calvados, dans cette belle ville de Caen où je poursuivais mes études universitaires. On se retrouvait souvent dans les cafés « le Marigny » , le « Maryland »,  où aimait se retrouver  la  communauté sénégalaise ,les travailleurs et les étudiants, avec mon ami d’enfance Ibou Mbaye, son cousin Grand Macodou. Je ne pourrais oublier  ton plus que frère  Malik Ndoye,  le grand attaquant de l’ASC Niayes , la star du ballon rond de l’époque,  terreur des défenseurs qui fit les beaux jours du Stade de Malherbes avec le club de CAEN. Nous aimions nous rappeler     de la  saveur du   « thiebou dieune » très succulent que nous concoctait son  épouse Djeba les dimanches . En reconnaissance  de ces journées dominicales , vous nous aviez immortalisés en nous consacrant le   premier tube « Ballago , Siguil, Siguil ( Relève toi, Debout) de ton orchestre le « Ram Dan » ( Ramper avec patience pour atteindre le sommet de la victoire). Ironie du sort , comme une prémonition la veille de notre retour à Dakar depuis l’hôtel de « Town Lodges à Johannesburg, tu étais  l’absent le plus présent  lors de nos débats politiques à propos de l’univers carcéral au Cap Manuel. Toussaint Manga, mon collègue député au Parlement panafricain serappelait des souvenirs  de vos moments de compagnons d’infortune dans la maison d’arrêt du Cap Manuel  où je venais vous  rendre visite toutes les semaines. Il se rappelait ta générosité, ton sens du partage des repas copieux avec tes codétenus que tu avais perpétué après ton élargissement   . Nousrevient alors en mémoire cet après -midi brumeux de  janvier 1983 où tu étais rentré  dans ce café , très animé. D’un  ton triste mais calme , serein   tu nous annonçais à notre grande surprise  ta décision de retourner au pays. L’explication que tu nous avais servie lorsque nous t’avions demandé les raisons nous avait d’avantage médusés. Car, disais tu, une sordide rumeur , relayée par la presse de rue   « radio Kankan » circulait au Sénégal, comme quoi «tu aurais été pris en flagrant délit de trafic de « Yamba » chanvre indien à la Gare de Lyon et emprisonné à la prison de Fresnes. Tous nos efforts en vue de te dissuader furent vains d’autant plus que jusqu’ici tu as été jusqu’au bout de ta ténacité, ayant résisté au chantage de ce promoteur qui t’ avait fait venir en France.  Quarante ans après , le sort semblait encore s’acharner   sur toi avec cette histoire d’accusation « de multiplication , de blanchiment et trafic  de faux billets de dizaines de milliards trouvés chez toi ». Te connaissant bien, comme beaucoup de sénégalais, jen’avais jamais douté de ton innocence. Tu avais bien supporté de manière stoïque ta détention , en homme de foi ,  bon croyant musulman doublé d’un disciple de Khadim Rassoul, ta référence spirituelle , après le Prophète (PSL) . Ses prescriptions , ses khassaïdesque tu parcourais au quotidien n’ont été jamais un secret pour toi . Son nom et ses enseignements n’avaient- ils pas inspiré la plupart de tes œuvres musicales ? Fervent disciple de Serigne Bamba,  tu as bien contribué à faire connaître d’avantage à des milliers de personnes de toutes races et religions Touba, la ville Sainte du Saint Homme,  même à leur conversion à l’Islam et leur adhésion au « Mouridisme ». Khadim Rassoul , à la fois ton Guide,  ton refuge et ta consolation était bien avec toiavant que tu ne sois parti le rejoindre. Tu n’as cesséde me surprendre. Quelques semaines avant votre rappel à Dieu, la Cour de Cassation venait de rendre une décision d’annulation de toute les décisions  de ta condamnation,  te blanchissant définitivement  comme ton dernier habit de linceul de percale », pour reprendre notre ami commun , Maître Ousmane Seye l’avocat infatigable de toutes tes causes, aujourd’hui disparu lors de son émouvante oraison funèbre qu’il t’avait adressée .Depuis le royaume de l’Éternel,  ton regard rassurant parce que serein, plein de mystère, impénétrable,  ton sourire qui faisait apparaître de loin ta dentition   raviveront pour toujours la flamme d’estime enfouie dans  le  cœur de milliers de   sénégalais qui n’ont eu de cesse de louer tes qualités et valeurs. Tu nous rappelleras toujours à nous et aux générations futures  ce que doit être un Homme:   travailleur infatigable, courtois , humble, sobre, généreux, discret, patriote, loyal et fidèle à ses convictions. Et quoi d’autre ? Tu cultivais aussi dans ton jardin intérieur des vertus,celles qui ne courent plus hélas les rues. Tu avaistoujours fait tien ce credo de Rabelais : «  Fais ce  que tu voudras ; parce que les gens biens nés, bien instruits, conversant en compagnie honnête, ont par nature un instinct et un aiguillon , qui toujours les poussent à accomplir des faits vertueux et les éloigne du vice, aiguillon qu’ils nommaient honneur. »

. Et que dire de votre esprit patriotique, rassembleur et pacifiste pour l’union de tous les grands musiciens du Sénégal et tes frères Stars mondiales ? Quid de cette œuvre colossale : « La CEDEAO en  Cœur » , l’œuvre de ta vie, ce grand projet musical à travers le quel tu disais vouloir démontrer que le « Mbalax , style musical le plus populaire au Sénégal est exportable toi l’interprète de « Diaga » en hommageà ta fidèle, brave et pieuse épouse et mère de tes gentils enfants, Kiné Diouf pour la nommer , lors de la cérémonie de présentation du livre qui t’a été consacré par le journaliste Fadel LÔ « Paroles de Thione  » ? Comme s’il avait aussi pressenti ta fin prochaine un autre compatriote, enseignant chercheur Chérif Seck , de l’Université de Caroline lui avait emboîté le pas dans une œuvre à toi dédiée: « La conscience morale et religieuse dans la poésie chantée de Thione Ballago Seck ».   Après ces deux publications, d’autres suivront. Ce projet à l’étape de mixage  devrait se présenter sous forme d’un coffret de trois albums. En y associant toutes les ethnies du Sénégal , et des musiciens de l’Afrique et de  la Diapora, tu confirmes ton esprit panafricaniste par ton attachement à l’Unité Nationale et à l’Union Africaine, concrétisant le rêve des Pères Fondateurs de l’Organisation pour l’Unité Africaine, devenue Union Africaine  . L’emblème, le slogan de notre Parlement Pan-Africain à savoir : « Une Afrique , Une Voix » avec toi est alors entrainde devenir une heureuse réalité à travers les sons et les lumières que tu as su conceptualiser et matérialiser avec ton grand génie et ton humanisme. Ce que les sénégalais ont toujours apprécié et aimé surtout en toi, c’est votre spiritualité.

Homme de foi et de conviction, tu as toujours été  constant  dans tes engagements,  quel que soit la situationEn cela , tu as bien su relever avec succès par tes qualités le défi du poète Rudyard Kipling lancé aux hommes dan son beau poème qui a marqué notre adolescence ( Tu seras un homme , mon fils) : « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie et sans dire un mot te mettre à rebâtir ;  si tu peux supporter d’entendre tes paroles travestie par des gueux pour exciter des sots , et d’ entendre mentir sur toi leurs bouches folles sans mentir toi -même d’un mot ;  si tu peux connaître triomphe après défaite et recevoir ces deux menteurs d’un même front tu seras un homme mon fils ». Tu constitues à la fois la vitrine et le miroir de notre patrimoine artistique musical.

« Tout devoir aux autres, et ne rien devoir à soi même, telle fut  votre pénible et noble charge durant toute ton  existence. » Soixante-six ans, ce n’est tout de même pas trop dans la vie d’un homme, débordant d’énergie comme toi. Mais tu les  as vécus pleinement en homme accompli, emportant avec toi ,   la reconnaissance de tes compatriotes. Ballago, Siguil Siguil, Ram Dan , chantais tu ? Thione c’est laNation entière qui te pleure aujourd’hui, toi qui astout donné à ton peuple. Digne héritier de feu abdoulaye Mboup, tu es parti rejoindre  au Panthéon d’autres illustres  hommes et femmes de l’Art et de la Culture qui ont marqué l’histoire du Sénégal . Devant DIEU, le Tout Puissant, ton brave père, ta  sainte mère Nogaye Ngom tu pourras bien dire : j’ai fait ce que  j’ai pu. Tes enfants, venant à votre suite  diront : Gloire à notre brave et adorablepère !

Thione , tu nous a aussi honoré, mon épouse  et moi un peu partout en portant nos noms à travers tes plus belles chansons phare, dans tous les Grands Palaces de ce monde Dakar, Paris, Bercy, Stokholm , Amsterdam, Manhattan, Tokyo, sans rien attendre de nous. Grand virtuose tu as le don bien entretenu d’allier à la fois les cinq plus belles voix doiseaux :le chardonneret, le canari, le merle, le rossignol, le rouge-gorge. Tu ne nous as pas certes donné le ciel, mais tu nous as soulevé de Terre ennous faisant voyager sur ton tapis magique á travers le temps et l’espace. Tu   nous égayés tout en nous enseignant sur tous les thèmes de la vie , devenus des hymnes : papa, maman ,l’amour, la solidarité, le travail, l’honnêteté, la foi du paysan , lamendicité des jeunes « talibés », la solidarité, la paix, la guerre, le caractère éphémère de la vie, la mort . Qui peut t’égaler dans l’inspiration et l’improvisation ? Te rappelles tu  de cette anecdote insolite et glaçante de terreur? Par un après midi d’un mois de Ramdan de 1988, dans ton domicile à la Rue 10, où j’étais venu te voir avec mon ami Pathé Diop, tu nous avais interpellé sur le jeûne en ces termes « Pendant toute la période du Ramadan , même les vers observent le jeûne en  s’abstenant de dévorer les morts sous terre ». Aussitôt votre inspiration fertile et intarissable aidant , tu avais composé cette chanson devenue un grand tube que tu nous avais encore dédiée à Sadio et moi sous le titre « Sakh Yi Chi Bir Souf,Ndakh Da Gnou DoundéNew Werou Kor ?  .  Merci pour tout Ballags de nous avoir accompagné et couvert avec ta franchise, tes conseils. Cela nous avait bien  aidé à enterrer nos vies de grands viveurs. Et depuis lors, adieu à notre belle vie d’antan mouvementée de  chevaliers enthousiastes « Ndanane, Samba linguère, » des chaudes nuits de Dakar. Adieu cette époque révolue, où nous mordions la vie à pleines dents sans souci des lendemains. Thione, tu u as toujours œuvré pour nous  à fonder un foyer et rentrer dans une autre vie :celle du repentir, de la sagesse et  la quêtepermanente de la ferveur spirituelle. Balla Mar Yacine Meissa,tu nous as tout donné. Qu’Allah t’accorde son Pardon et t’accueille dans son Paradis auprès de votre illustre Guide Hadim Rassoul et préserve tes enfants, ta descendance . Le cœur étreint par le chagrin, je suis fier de t’avoir connu.  Je suis triste de te laisser te reposer à présent dans ces lieux  du silence. Enfin tu auras droit désormais à un véritable repos, le vrai,   après une vie bien remplie en bienfaits. Tu le mérites bien cher ami. Que la terre de Yoff te soit légère. Amen  

Merci pour tout « Cops » comme tu aimais m’appeler.

Djibril War, wardjibril@yahoo.fr