Cinq anciens ministres face à leur destin, ce jeudi: Diop, le dandy ; Gladima, la scientifique ; Madior, le « tailleur » ; Mansour, le courageux ; et Saly Diop, la technocrate…

L’Assemblée nationale du Sénégal s’apprête à vivre une journée historique ce jeudi 8 mai. À 10 heures, les députés sont convoqués en séance plénière pour se prononcer sur la mise en accusation de cinq anciens ministres du régime de Macky Sall. Cette procédure, fondée sur les conclusions du rapport de la Cour des comptes concernant la gestion des fonds Covid-19, illustre la volonté du nouveau pouvoir de rompre avec les pratiques opaques du passé.

Une session décisive pour la transparence

Depuis plusieurs mois, les débats sur la gestion des 1 000 milliards de FCFA mobilisés pour la lutte contre la pandémie de Covid-19 secouent la sphère politique sénégalaise. Les investigations menées par la Cour des comptes et les commissions parlementaires ont mis en lumière des irrégularités graves : marchés fictifs, surfacturations, décaissements douteux. Ce jeudi, cinq figures majeures de l’ancien exécutif devront répondre de leur gestion.

Les anciens ministres concernés sont :
• Moustapha Diop, ex-ministre du Développement industriel
• Amadou Mansour Faye, ex-ministre des Infrastructures
• Aïssatou Sophie Gladima, ex-ministre du Pétrole et de l’Énergie
• Ismaïla Madior Fall, ex-ministre de la Justice
• Salimata Diop (Ndèye Saly Diop), ex-ministre de la Femme

Selon les éléments du dossier, Salimata Diop est notamment soupçonnée de détournement de 44 millions FCFA. Moustapha Diop, quant à lui, est cité dans plusieurs décaissements irréguliers, tandis qu’Amadou Mansour Faye est accusé de surfacturation massive dans l’achat de riz destiné aux populations durant la crise sanitaire. Aïssatou Sophie Gladima est mise en cause pour des marchés fictifs dans le secteur énergétique. De son côté, Ismaïla Madior Fall est poursuivi pour une affaire distincte de corruption présumée, sans lien direct avec les fonds Covid.

Le 2 mai dernier, l’Assemblée avait déjà levé l’immunité parlementaire de Moustapha Diop et Salimata Diop, ouvrant la voie à cette nouvelle étape judiciaire et politique.

Une volonté de rupture affichée

Le gouvernement actuel, issu des élections présidentielles de mars 2024, a promis de restaurer la confiance des citoyens en l’État par une gestion rigoureuse des deniers publics. Cette mise en accusation collective est perçue comme un signal fort d’une gouvernance tournée vers la transparence et la reddition des comptes. Mais elle pourrait aussi être interprétée comme une épreuve de vérité pour le nouveau régime, attendu sur sa capacité à faire respecter la justice tout en évitant les règlements de comptes politiques.

Portraits des cinq anciens ministres mis en cause

1. Moustapha Diop – Ex-ministre du Développement industriel
Ancien maire de Louga et homme d’affaires, Moustapha Diop a longtemps été présenté comme un promoteur du développement local et de l’industrialisation. Il s’est illustré par sa proximité avec le secteur privé et sa gestion des zones économiques spéciales. Mais son passage au gouvernement a été régulièrement critiqué pour son manque de clarté dans les attributions de marchés.

2. Amadou Mansour Faye – Ex-ministre des Infrastructures
Figure influente de l’ancien régime et beau-frère de Macky Sall, Mansour Faye a occupé plusieurs portefeuilles ministériels clés. Il est à l’origine de nombreux projets d’envergure nationale, souvent salués pour leur ambition, mais entachés de soupçons de favoritisme et d’opacité. Sa gestion des aides alimentaires durant la pandémie est aujourd’hui au cœur des accusations.

3. Aïssatou Sophie Gladima – Ex-ministre du Pétrole et de l’Énergie
Docteure en géologie et universitaire de renom, Sophie Gladima a joué un rôle central dans la structuration de la politique énergétique du Sénégal. Elle a piloté les dossiers sensibles liés au pétrole et au gaz. Sa mise en cause dans des marchés fictifs pourrait ternir l’image technocratique dont elle jouissait.

4. Ismaïla Madior Fall – Ex-ministre de la Justice
Intellectuel respecté et constitutionnaliste, Ismaïla Madior Fall a été un acteur clé des réformes judiciaires sous Macky Sall. Son implication dans une affaire de corruption présumée, bien que distincte du dossier Covid-19, soulève des questions sur l’indépendance et l’intégrité de la justice sous son magistère.

5. Salimata Diop (Ndèye Saly Diop) – Ex-ministre de la Femme
Connue pour son engagement en faveur des droits des femmes et du développement social, Salimata Diop a dirigé plusieurs programmes de soutien aux groupements féminins. Sa gestion est aujourd’hui pointée du doigt, notamment pour des irrégularités dans l’utilisation de fonds publics destinés aux populations vulnérables.

Vers un tournant judiciaire et politique

La séance de ce jeudi s’annonce déterminante. Elle pourrait non seulement ouvrir une nouvelle ère de gouvernance au Sénégal, mais aussi poser les bases d’une jurisprudence en matière de responsabilité des anciens ministres. Dans un pays où la demande sociale de justice est plus forte que jamais, cette crise de reddition des comptes marque peut-être le début d’un nouveau chapitre politique.