DOUDOU GNAGNA DIOP, PCA SAPCO: « Le tourisme doit être recentré sur les citoyens… »

Il n’y a pas d’autre mot : le pillage. Si les chiffres relevés par les corps de contrôle, la Cour des
comptes et les récentes déclarations du gouvernement sont avérés, alors le bilan est sans appel. Des milliers de milliards de francs CFA ont échappé à la République, à sa transparence, à ses urgences, à ses citoyens. Ils ont été détournés, absorbés, camouflés dans des procédures opaques, souvent justifiées par le « secret défense » ou d’autres mécanismes d’exception. C’est une tragédie budgétaire. Et l’une de ses victimes silencieuses, c’est le secteur touristique. 

Le tourisme sénégalais a pourtant tenu, contre vents et marées, grâce à une expertise reconnue, un réseau d’infrastructures robuste, et une résilience exemplaire de ses opérateurs. Mais les manques à gagner se chiffrent eux aussi en centaines de milliards. Si le dixième seulement des sommes dilapidées avait été réinjecté dans les pôles touristiques, les corridors hôteliers, la formation continue, la valorisation du patrimoine ou encore la modernisation des services, le Sénégal aurait consolidé sa position de leader régional. À l’inverse, nous avons assisté à un gel des projets structurants aux fuites des capitaux, à une précarisation des acteurs du secteur informel, à une fuite des compétences et à un fort recul de notre capital humain.

Pour éviter que ce que nous construisons ne parte en fumée, il faut changer de paradigme. Le tourisme ne doit plus être pensé comme un luxe, un ornement, un levier périphérique. Il doit être vu comme un axe central de développement. Mieux, il doit être recentré sur les citoyens : c’est ce que j’appelle « L’Autre Tourisme ».

L’Autre Tourisme est un tourisme d’ancrage, de réciprocité, d’intelligence territoriale. Il repose sur
l’implication des populations locales, sur l’utilisation raisonnée des ressources naturelles, sur la mise en valeur de nos identités culturelles, et sur l’autonomisation des femmes et des jeunes. Il implique des artisans, des guides, des artistes, des chercheurs, des communautés rurales. Il donne à voir un Sénégal sincère, non déformé par le folklore commercial. C’est une école de durabilité. 

Dans ce modèle, l’investissement dans le capital humain devient la clé de voûte. Former des jeunes au métier de l’accueil, outiller les femmes entrepreneures du secteur, accompagner les acteurs communautaires dans le développement de circuits intégrés : ces gestes ont une rentabilité immédiate et multidimensionnelle. 

Prenons les enjeux sous diverses dimensions: 

La réinsertion des jeunes non qualifiés 

L’éducation des talibés dans les métiers de l’hôtellerie, du maraichage (agrotourisme)

La rentabilité économique, d’abord. En effet, chaque acteur formé est un emploi pérenne,
un agent de qualité, un porteur d’innovation. C’est un circuit vertueux qui se crée : des revenus
réguliers pour les individus, une meilleure qualité de service pour les visiteurs, et une compétitivité
accrue du Sénégal sur la scène touristique régionale et internationale. En dotant les acteurs de compétences solides, on favorise aussi l’émergence d’un entrepreneuriat local dynamique.

En analysant la rentabilité sociale, ensuite, on verra que les revenus générés irriguent les
territoires, réduisent l’exode rural, renforcent la cohésion sociale et permettent l’amélioration du
cadre de vie des communautés locales. Le tourisme devient alors un outil de justice sociale, en intégrant les zones enclavées et en réduisant les inégalités d’accès aux opportunités économiques.

En interrogeant la rentabilité environnementale on verra qu’un tourisme citoyen respecte les
écosystèmes, limite les pollutions, valorise la biodiversité locale. Les communautés locales, formées et sensibilisées, deviennent les premières garantes de la préservation de leur environnement. Il s’agit d’un développement soutenable, fondé sur des pratiques écologiquement responsables.

Finalement si on fait le focus sur la rentabilité politique, enfin on verra qu’un État qui
soutient ses citoyens en retour, gagne leur confiance, renforce sa légitimité, et stabilise la paix sociale. Un secteur touristique équitablement partagé, transparent dans sa gouvernance et ancré dans les territoires, devient un levier de gouvernance participative et de renforcement du contrat social.

La SAPCO a déjà intégré ces logiques dans ses projets pilotes : Saint-Louis, Saloum, Casamance, les zones frontalières. Mais nous devons aller plus loin. Ce que nous avons compris, c’est qu’un développement touristique reposant uniquement sur l’infrastructure ou la fiscalité est insuffisant. Ce sont les femmes, les hommes, les récits, les savoir-faire qui constituent le cœur battant de notre attractivité. 

L’heure est venue de mettre le citoyen au centre du tourisme. De faire de chaque village, chaque littoral, chaque vallée, un acteur économique conscient et organisé. L’heure est venue de corriger les égarements budgétaires par une politique d’anticipation, d’ancrage et d’éthique. L’heure est également venue de nous positionner en termes de promotion en organisant un salon international du Tourisme Sénégalais. 

Car si les milliards volés ne reviendront peut-être jamais, ceux que nous investirons aujourd’hui dans l’Autre Tourisme, eux, reviendront toujours. En emplois. En dignité. En paix sociale. En rayonnement régional. Et le Sénégal, alors, ne se contentera plus d’accueillir : il incarnera…

Par Doudou Gnagna DIOP, PCA de la SAPCO