Comme à l’accoutumée, un nouveau Président est toujours imbu de grandes réformes institutionnelles allant, pour l’essentiel, dans le sens de condamner un système vaincu sur l’autel de ses propres pêchés juridiques, institutionnels, économiques et socioculturels. Quoi de plus normal, du moins si l’on sait qu’une gouvernance de rupture intervient toujours en réaction à certaines habitudes et manières de gouverner. C’est un acte de courage politique car « réformer, c’est changer de situation, et surtout de trajectoire ».
Cette particularité du nouveau mandat présidentiel explique que les politiques, les paroliers, les artistes-chanteurs, les chroniqueurs et les prêcheurs rivalisent d’ardeur pour saturer de conseils le nouveau Président. Qu’à cela ne tienne ! Aucun viatique n’est finalement devenu de trop pour rendre le nouveau Président suffisamment conscient de la charge présidentielle.
Seulement, des reformes d’une certaine envergure doivent toujours s’inscrire dans un ordre programmatique. Elles ne se décrètent pas ; bien au contraire, les réformes institutionnelles suivent, sans conteste, une trame ponctuée par des moments de conception, de validation et d’implémentation. Il ne faut pas également ignorer ou précipiter la négociation de compromis dynamiques sur la réorganisation des administrations publiques, la rénovation des techniques administratives et le pilotage de stratégies de conduite du changement.
Or, pour la première fois au Sénégal, l’alternance démocratique consacre, sans équivocité, un mandat présidentiel limité à 5 ans. En plus, le Président Bassirou Diomaye Diakhar FAYE, nouvellement élu, bénéficie d’une prime de légitimité, à savoir qu’il est le seul des Présidents issus de l’alternance politique à être élu dès le premier tour pour un mandat de 5 ans. Pour rappel, le Président WADE s’est adjugé les dispositions transitoires de la Constitution pour exercer un premier mandat présidentiel de 7 ans. Le Président SALL en a bénéficié grâce au principe à valeur constitutionnelle de sécurité juridique et de stabilité des institutions forgé en 2016 et martelé en 2024 par le Conseil constitutionnel.
Est-il possible, dans un quinquennat, d’institutionnaliser le train de réformes institutionnelles du Président nouvellement élu ? Celui-ci qui comporte 22 mesures structurées autour de 6 axes principaux que sont : i) L’instauration d’un pouvoir exécutif responsable et la réduction des prérogatives proéminentes du Président de la République ; ii) Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire ; iii) L’indépendance au sein de l’appareil judiciaire, instauration d’un Juge des Libertés et de la Détention (JLD) ; iv) La revue du budget de la justice et la mise aux normes des lieux de privation de liberté ; v) L’accès des citoyens au service public de la justice ; vi) La réforme des institutions et du système électoral pour améliorer l’état de droit, la bonne gouvernance et la démocratie participative. ?
Une fois matérialisées, ces réformes institutionnelles apporteront un véritable progrès dans le fonctionnement des institutions et la mise en œuvre des politiques publiques judiciaires. Néanmoins, des questions ne manquent pas d’interpeller la réflexion juridique.
D’abord, on note, à première vue, qu’il s’agit visiblement d’un ambitieux programme de résorption du déficit institutionnel accumulé à la suite des régimes qui se sont succédé au Sénégal depuis l’Indépendance et de la consolidation des acquis comptabilisés par les anciens Présidents de la République. Fondamentalement, c’enjeu, c’est d’imprimer un changement de paradigme dans l’organisation et le fonctionnement des institutions et du service public de la justice. Ainsi, une nouvelle donne apparaît en matière de gestion publique : réformer en faisant « focus sur le citoyen ».
Cette nouvelle tournure dans la gestion publique est récemment justifiée par Birame Soulèye DIOP, lors de son passage à l’émission « Point de vue »sur la RTS : « Nous venons avec un programme dont le seul but est de répondre aux attentes légitimes du peuple en n’oubliant aucun segment de la société sénégalaise (…). Nous ne sommes pas venus pour construire à partir du néant ».
Pour au moins amorcer cette« évolution dans la rupture »(Pr Mbaye THIAM) dans le cadre d’un quinquennat, le nouveau Président de la République est tenu de s’exercer au pragmatisme. C’est ici le sens de notre questionnement sur le mode opératoire qui permettrait de faire aboutir, dans l’urgence ou dans un délai raisonnable, les pieuses réformes institutionnelles.
D’une part, la parole sera-t-elle redonnée au peuple pour réviser, par voie référendaire, les dispositions constitutionnelles en relation avec le train de réformes institutionnelles (notamment la création du poste de Vice-Président, la transformation du Conseil constitutionnel en Cour constitutionnelle, la suppression du Conseil économique, social et environnemental, du Haut Conseil des Collectivités territoriales et du Haut Conseil du Dialogue social, la réforme du Conseil supérieur de la Magistrature et la modification du Code pénal et du Code de Procédure pénale) ? Ou bien en l’absence de référendum ou de larges concertations citoyennes sur ces réformes institutionnelles, faut-il simplement comprendre que le scrutin du 24 mars 2024 a été plus qu’un procédé de légitimation du « Projet » qu’une élection présidentielle ?
D’autre part, est-il envisageable, au regard de la configuration parlementaire, que le nouveau pouvoir accepte de se mettre dans l’obligation de transiger avec des alliés de circonstance en vue de faire passer ses réformes institutionnelles ? En effet, il aura besoin d’atteindre 83 voix représentant la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale pour l’adoption d’une loi organique. C’est également 83 voix qui seront obligatoires pour une loi ordinaire au cas où les 165 députés composant l’Assemblée nationale participeraient au scrutin. La majorité sera plus difficile pour une loi de révision constitutionnelle qui exige 99 voix, soit 3/5 des suffrages exprimés en cas de participation des 165 députés au scrutin.
Dans ces trois hypothèses, l’adoption des réformes institutionnelles par l’Assemblée nationale dépendra sans doute du ralliement négocié d’une frange de députés affiliés au Groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar, relégué au rang de nouvelle opposition parlementaire.
La dissolution de l’Assemblée nationale avant l’expiration du délai de deux ans (en mi-septembre 2024), à condition qu’elle soit en ligne de mire des nouvelles autorités, en sera l’exemple manifeste. Premièrement, une dissolution par voie de révision constitutionnelle visant à réduire ou supprimer la limite temporelle sera évidemment périlleuse au vu de l’avortement de l’initiative du régime sortant en juillet 2023. Deuxièmement, une dissolution par décret à l’expiration du délai constitutionnel serait source d’une cohabitation entre l’« anti- système » et le « système »liés par un récent passé de guérilla parlementaire. Les réformes souffriront pendant une période couvrant les 5 mois et toute la durée du processus électoral allant du dépôt des listes de candidature aux élections législatives jusqu’à l’installation de la 15e Législature.
Par ailleurs, le nouveau Président de la République va-t-il recourir aux ordonnances pour éviter de devoir réunir l’Assemblée nationale à chaque fois qu’il est question de prendre d’urgence des mesures dans le domaine de la loi ? Un quinquennat de toutes les attentions impose de la célérité et la technicité dans les réformes institutionnelles. A cet effet, il dispose du privilège de l’article 77 de la Constitution sénégalaise dans ces conditions« L’Assemblée nationale peut habiliter par une loi le Président de la République à prendre des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Dans les limites de temps et de compétence fixées par la loi d’habilitation, le Président de la République prend des ordonnances qui entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale avant la date fixée par la loi d’habilitation. L’Assemblée nationale peut les amender à l’occasion du vote de la loi de ratification ».
Dans cette éventualité, l’urgence et la complexité seront les deux arguments de fond au soutien de la loi d’habilitation. Etant une loi simple, celle-ci sera adoptée à la majorité simple des suffrages exprimés pour diligenter la modification des textes de nature législative tels que le Code pénal et le Code de Procédure pénale et dans bien d’autres domaines à réformer.
Ensuite, les réformes institutionnelles projetées amèneront à renouveler le débat sur les révisions contingentes de la Constitution. A ce jour, chaque article de la Constitution est, le plus souvent, l’expression d’un caprice présidentiel toujours agréé par une majorité parlementaire soumise.
Quelle que soit la réforme, il importe d’éviter qu’elle soit une révision« totale » qui aurait fatalement dénaturé la Constitution, c’est-à-dire une révision de nature à modifier des dispositions qui remettraient fondamentalement en cause la nature du régime politique, sans recourir au référendum. Ce qui est, faut-il le regretter, une pratique courante au Sénégal comme dans bien des démocraties africaines sous contrôle présidentiel.
Ainsi, la suppression du poste de Premier Ministre et l’élection, probablement en 2029, d’un Vice-Président en tandem, ne reviendrait-il pas à instaurer un régime présidentiel ? Sur cette problématique, l’histoire témoignera et les débats engagés sur la suppression du poste de Premier Ministre au lendemain de la réélection du Président sortant en 2019 feront foi sans nul doute.
Aussi, en cas de changement de régime en 2029, le poste de Vice-Président ne sera-t-il pas en sursis, avant d’être définitivement condamné par le Président de la République qui sera élu à cette date ? Logiquement, nous restons dans l’ordre de l’éventualité en relation avec les changements inévitables de régime au Sénégal.
S’agissant spécifiquement du poste de Vice-Président, il faut rappeler à la mémoire des réformateurs que c’est loin d’être une nouveauté au Sénégal. Il va simplement renaître de ses cendres pour réintégrer l’ordonnancement constitutionnel sénégalais.
Déjà, la loi constitutionnelle n° 2009-22 du 19 juin 2009 avait institué un poste de Vice-président de la République. Selon l’exposé des motifs, le Vice-Président, « nommé par décret du Président de la République » qu’il assiste dans sa tâche, « permettra une plus grande capacité de représentation de la Présidence de la République ainsi qu’une efficacité renforcée de l’action présidentielle. Il s’y ajoute que le Vice-Président va susciter une meilleure fluidité dans le fonctionnement des organes administratifs relevant directement de l’autorité du Président de la République (…). D’après le dispositif, le Vice-Président est nommé pour une durée ne pouvant excéder celle de son mandat. En ce qui concerne ses attributions, il exerce les pouvoirs qui lui sont délégués par le Président de la République. Enfin, il occupe, dans l’ordre de préséance, le deuxième rang.
Toutefois, le poste sera supprimé au lendemain de la seconde alternance par la loi n° 2012-16 du 28 septembre 2012 portant révision de la Constitution, soit approximativement « trois ans » après, sans être expérimenté.
Dans la même veine consacrant la nomination du Vice-président par le Président de la République, se situent les exemples illustratifs du Bénin, de la Côte d’ivoire et de l’Afrique du Sud. Dans d’autres Etats, la pratique constitutionnelle est d’un autre ordre en ce sens qu’ils choisissent d’élire le Président de la République et le Vice-président en tandem, donc en même temps en ticket et pour la même durée de mandat. C’est l’identité de certains régimes présidentiels dont les Etats-Unis d’Amérique et le Nigéria. En cas de vacance du pouvoir présidentiel pour décès, démission et ou autre cause d’empêchement définitif, le Vice-président lui succède immédiatement et poursuit le mandat en cours.
Enfin, les réformes institutionnelles ne devront pas être des actes constitutionnels, législatifs ou réglementaires isolés. En revanche, elles doivent être en parfaite harmonie avec la Constitution en vigueur. A cet égard, on peut être amené à trouver des réponses à certaines questions : existe-t-il une grande cohérence entre la suppression du poste de Premier Ministre, la création d’une Cour constitutionnelle et le retrait du Président de la République du Conseil supérieur de la Magistrature ? S’agirait-il de réformes isolées les unes des autres ? Y a-t-il une ligne directrice qui relie les différentes réformes ? En tout état de cause, si l’on se soucie de mettre en place des réformes solides et stables qui ont un avenir, il va s’en dire qu’elles doivent être corrélées et rattachées à un principe de base.
A défaut de faire adopter une nouvelle Constitution, les réformes répondront à cet appel de bon, en mettant en cohérence les réformes et le noyau dur de la Constitution du 22 janvier 2001 en vigueur. Sinon, le risque est réel de gouverner par une Constitution écliptique et expérientielle au lieu d’être le réceptacle approprié des aspirations politiques et sociales du passé, du présent et du futur de notre Nation démocratique.
En attendant d’entreprendre d’autres examens de vérité, on peut raisonnablement penser, en tenant compte des vertus organisationnelles qui entourent le « Projet » et les intentions subséquentes, que le train des réformes arrivera à l’heure, même s’il appartient à l’avenir de nous révéler que les rames acheminaient les meilleures réformes institutionnelles de l’histoire du Sénégal.
Pr Meissa DIAKHATE
Agrégé de droit public
Ancien Assistant parlementaire
Expert en Science et techniques administratives