Dans le vaste panorama du tourisme sénégalais, une figure a émergé il y a vingt ans : Doudou Gnagna Diop, président charismatique de l’Organisation nationale pour l’intégration du tourisme sénégalais (ONITS). Dans cet entretien exclusif accordé au journal l’Évidence, monsieur Diop a partagé sa vision et révélé les défis auxquels le secteur est confronté.
Les défis du tourisme sénégalais
Les défis structurels : « Les défis structurels sont notre terrain de jeu », a déclaré Diop d’un ton assuré. « Le tourisme ne se limite pas à la simple offre d’hébergement. C’est un écosystème complexe, un réseau d’acteurs allant des marchés émetteurs aux infrastructures hôtelières. Nous devons repenser cette structure verticale pour favoriser une croissance durable. », a-t-il notamment dit.
Le défi structurel réside dans l’organisation verticale du secteur, où l’investissement et la promotion sont gérés de manière centralisée, notamment à travers les marchés émetteurs et les tours opérateurs. Cette verticalité entrave la libre circulation des investisseurs nationaux.
Les défis institutionnels : « Le défi institutionnel, quant à lui, concerne la mise en place de politiques touristiques efficaces et inclusives. Depuis le début des années 70, le pays a lancé des appels d’investissement, notamment dans des zones comme la Casamance, mais ces initiatives se heurtent à des obstacles majeurs ».
Les défis conjoncturels : « Le défi conjoncturel concerne la gestion locale du secteur touristique. Les collectivités locales ont un accès limité à ce domaine, ce qui entrave le développement des infrastructures et des activités touristiques au niveau régional ».
« Par exemple, en tant qu’entrepreneur ayant répondu à l’appel de l’ancien président Abdoulaye Wade de revenir investir au Sénégal, j’ai rencontré de nombreux obstacles dans l’implantation de mon hôtel, notamment à Dakar à cause de la gestion centralisée du secteur, raison pour laquelle d’ailleurs je suis venu implanter mon hôtel à la Somone. »
Le manque de coordination entre les autorités locales et les investisseurs privés entrave également le développement du tourisme. Dans de nombreux pays, le tourisme est géré de manière décentralisée, ce qui permet une meilleure prise en compte des spécificités locales.
Les solutions proposées par Doudou Gnagna Diop
« Pour surmonter ces défis, il est nécessaire de revoir en profondeur la politique touristique du pays, en impliquant davantage les acteurs locaux et en favorisant un développement inclusif et durable du secteur ».
Soulignant le potentiel inexploité de la forêt d’Allou Kagne dans le plateau de Thiès, Diop a esquissé un avenir brillant pour cette région. « Allou Kagne peut devenir le joyau du tourisme intégré, » a-t-il affirmé avec conviction. « Imaginez des petites structures hôtelières émergeant parmi les paysages pittoresques, stimulant l’agriculture locale, l’artisanat et le transport. Ce n’est pas seulement du tourisme, c’est du développement économique. »
Diop a uni le tourisme et l’artisanat sous la même bannière, reconnaissant l’importance de ces deux piliers pour le secteur. « Nous devons cesser de voir le tourisme comme une simple transaction commerciale, » a-t-il expliqué. « C’est une expérience humaine, une rencontre entre les cultures. L’artisanat est le tissu qui unit ces expériences. »
Il a également souligné le potentiel d’emploi du tourisme, soulignant qu’une petite structure hôtelière en milieu rural pourrait créer une véritable économie locale. « Nous devons créer des opportunités pour les jeunes, » a-t-il déclaré avec ferveur. « Le tourisme peut être un moteur de croissance, générateur d’emplois et de fierté nationale. »
Le président de l’ONITS a également évoqué l’importance de repenser le tourisme intégré, de le rendre plus inclusif et durable. « Nous ne pouvons pas ignorer les défis auxquels nous sommes confrontés, » a-t-il admis. « Mais chaque défi est une opportunité de grandir, de s’élever. C’est cela, la magie du tourisme intégré. »
Les ajustements nécessaires pour le développement du tourisme sénégalais
« Le tourisme, du fait de son organisation verticale, ne permet pas au Sénégal d’avoir les moyens de sa politique. Il faudrait qu’on arrive à créer une valeur ajoutée unique, celle qui a été fabriquée dans les marchés émetteurs au foyer émetteur et celle qui est indirectement fabriquée dans le pays pour que la nation puisse s’y retrouver, pour que les populations locales puissent aussi s’y reconnaître.
Deuxièmement, il faut booster la consommation locale en s’organisant autour de coopératives agricoles, de maraîchers et d’éleveurs. Pour créer un central d’achat pour l’approvisionnement des hôtels de tous les hôtels du Sénégal et faire face à l’importation et combattre ainsi la fuite des capitaux. En même temps, cela permettrait de lutter contre l’exode rural et de maintenir les jeunes. »
« Alors, il y a deux facteurs qui sont essentiels et importants pour développer le tourisme sénégalais pour qu’il puisse prendre son envol obligatoirement. Il va falloir transférer les compétences, sans le transfert des compétences aux collectivités, il ne peut y avoir de développement harmonieux du tourisme sénégalais. Mon souhait est d’organiser des assises du tourisme pour pouvoir, dans chaque pôle, organiser des salons du tourisme ici dans le pays, faire venir les tours opérateurs. Le Sénégal doit faire des éduc-tours pour pouvoir lancer définitivement la promotion des infrastructures touristiques et hôtelières. »
Il a également souligné le rôle crucial de l’ONITS dans la promotion du tourisme sénégalais à l’étranger. « Nous ne devons pas vendre le Sénégal dans sa globalité, » a-t-il insisté. « Mais pour promouvoir le tourisme sénégalais à l’étranger, il faudrait éviter de le présenter de manière globale. L’idéal serait de le diversifier en six pôles. « Casser les frontières, briser les stéréotypes. Le Sénégal est bien plus que des plages et des hôtels de luxe. C’est une richesse culturelle, une tradition vivante. »
En évoquant les défis auxquels sont confrontés les investisseurs nationaux, le président de l’ONITS a révélé une lutte personnelle. « Je suis un de ces investisseurs, » a-t-il confié. « J’ai vécu les obstacles, ressenti les frustrations. Mais je refuse de céder. Nous méritons tous une chance équitable, une opportunité de contribuer au développement de notre pays. »
Doudou Gnagna Diop a exhorté à une consommation locale dans le secteur touristique, à une meilleure gestion des ressources naturelles et humaines, ainsi qu’à une coopération internationale renforcée. « Le tourisme n’est pas seulement une industrie, » a-t-il indiqué, avant de conclure : « C’est un pont entre les nations, un échange de cultures, d’idées, de rêves. Et ensemble, nous pouvons construire un avenir meilleur. »
Propos recueillis par Anta Fofana Konaté