Le penseur sénégalais, Dr. Mohamed Saïd Ba, a déclaré que la bataille du déluge – quelle que soit son issue immédiate – est le début de la fin du rêve occidental le plus dangereux, qui consistait à diviser le cœur du monde islamique en y implantant un corps cancéreux, et qu’elle marque le début de la destruction de la promesse de Balfour.
Il a expliqué que «ce qui se passe à Gaza n’est pas seulement une attaque contre les Palestiniens, mais une attaque contre l’humanité dans son essence, son histoire et ses valeurs», ajoutant que «ce qui se passe en Palestine est, d’une autre manière, une perte d’espoir dans la survie ou la pertinence du système de valeurs que l’humanité a développé au fil de l’histoire».
Le penseur sénégalais a ajouté qu’il n’y a pas sur cette terre de population plus apte à ressentir ce que le peuple palestinien endure en termes d’injustice et d’oppression, ni plus digne de soutenir sa résistance que les Africains, car ils ont souffert pendant trois siècles de l’occupation odieuse.
Saïd Ba a également mentionné que la transition politique pacifique qui a eu lieu dans son pays le 24 février 2024 est le résultat de l’accumulation d’actions politiques calmes et mesurées depuis 1980, soulignant que «la première phase de l’occupation française du Sénégal est terminée», et que «la seconde phase, qui concerne l’occupation économique et l’imposition du modèle culturel, est en train de s’effriter».
Cependant, il a exprimé sa crainte que ce que j’appelle la «Moyenorisation de l’Afrique de l’Ouest » ne se produise, par la création d’un développement de façade (routes goudronné, hôtels de luxe, style de vie aisé…) tout cela pour permettre un pillage des ressources sous de nouvelles formes».
Il est à noter que le Dr. Mohamed Saïd Ba est un spécialiste de la pensée islamique moderne et de la civilisation, classé parmi les réformateurs, ayant enseigné dans plusieurs universités et instituts. Il est actuellement membre du secrétariat général du Forum de Kuala Lumpur pour la pensée et la civilisation, et du secrétariat général de la Coalition mondiale pour le soutien de Jérusalem et de la Palestine. Il est également fondateur et secrétaire général de l’Union des organisations estudiantinesdes écoles islamiques au Sénégal, fondateur et secrétaire général du Forum islamique pour le développement et l’éducation au Sénégal, et membre fondateur du Mouvement de réforme pour le développement social au Sénégal (un parti politique sénégalais).
Saïd Ba a écrit près de 100 articles et études scientifiques, ainsi que de nombreux livres, parmi lesquels les plus importants sont: «L’État des Imams au Fouta Toro (1776-1891): une expérience islamique inédite sur les rives du fleuve Sénégal», «Le courant réformiste islamique au Sénégal: conditions de naissance et mécanismes d’évolution (vue de l’intérieur) », «La critique de soi (avec un groupe des grands penseurs)», et «L’aventure ambiguë» (traduction du roman islamique le plus important du français vers l’arabe, publié dans la série Créations mondiales au Koweït).
Passons donc à l‘interview.
Question: En tant que penseur africain, comment percevez-vous les crimes contre l’humanité et le génocide perpétrés par l’occupant israélien contre le peuple palestinien en général et les habitants de la bande de Gaza en particulier?
En Afrique, en général, et particulièrement en Afrique de l’Ouest, nous voyons les actions de cette machine de destruction folle, qui s’acharne contre l’homme et détruit tout autour de lui, avec une grande colère mêlée à la crainte pour l’avenir.
Nous ressentons ce mélange, non pas seulement parce que les sionistes commettent les crimes les plus atroces en Palestine, ce qui est dans la nature de ce peuple dont les croyances et la vision de la vie reposent sur la haine et le mépris de l’autre, et donc ce comportement barbare est quelque chose auquel on s’attend de leur part.
Nous ressentons de la colère et de la peur, qui envahissent l’Afrique aujourd’hui d’un bout à l’autre, car le monde reste spectateur face à l’une des scènes les plus horribles et les plus douloureuses de l’histoire humaine, et pire encore, certains proches aident et contribuent à ce crime historique odieux.
C’est pourquoi nous considérons que ce qui se passe là-bas est en premier lieu une attaque contre les Palestiniens, mais finalement, c’est une attaque contre l’humanité dans son essence, son histoire, et ses valeurs, car ce qui se passe en Palestine reflète, d’une autre manière, la perte d’espoir dans la survie ou la pertinence du système de valeurs que l’humanité a développé au fil de l’histoire.
Question: De nombreux pays africains ont rejoint l’appel de l’Afrique du Sud contre le génocide perpétré par l’occupation israélienne en Palestine, mais nous n’avons pas vu de mouvements populaires parallèles. Pourquoi ?
Tout d’abord, nous apprécions énormément ce qu’a fait la République d’Afrique du Sud, qui connaît l’amertume de l’injustice, en cernant juridiquement et politiquement cet État usurpateur avec ce rassemblement de preuves irréfutables au nom de tous les Africains dignes qui soutiennent le peuple palestinien dans son combat et sa lutte contre l’occupant, et au nom de tous les hommes libres du monde. Nous remercions également tous les pays et institutions africaines et autres qui ont rejoint ce soulèvement humanitaire et soutenu cette initiative historique, qui est l’un des coups les plus douloureux et révélateurs portés aux sionistes.
Quant à l’apparente inaction des peuples africains, des confins du désert aux rives de la mer Rouge, la réalité est différente. Il y a en fait un mouvement et une mobilisation en cours, et nous voyons une vague croissante de haine contre les sionistes, ainsi qu’une sympathie croissante pour le peuple palestinien et le courant de la résistance. Cependant, pour des raisons bien connues et compréhensibles, cette expression ne prend pas la forme visible que l’on observe dans certaines places publiques du monde, à l’est comme à l’ouest.
Parmi ces facteurs restrictifs, il y a la soumission de certains régimes africains à l’influence sioniste, bien que dans une moindre mesure que ce qui s’est passé dans la plupart des pays du monde arabe. Un autre élément qui freine l’expression populaire est le déclin du soutien arabe aux Palestiniens, ce que les malintentionnés exploitent pour dire: «Ne soyez pas plus royalistes que le roi!».
Question: Que peuvent faire les pays africains pour faire face à l’occupation israélienne directe de la terre et du peuple palestiniens, au-delà du dépôt d’une plainte auprès de la Cour internationale?
Il n’y a pas, parmi les habitants de cette terre, de peuple plus apte à ressentir ce que le peuple palestinien endure en termes d’injustice et d’oppression, ni plus digne de soutenir la résistance et la lutte du peuple palestinien que les Africains, car ils ont, pendant trois siècles, bu à pleines gorgées les calices amers de l’occupation odieuse.
Avant de présenter certaines des options dont ils disposent, il est nécessaire de souligner l’importance du travail sur le terrain juridique, qui reste l’un des rares recours auxquels les sionistes s’accrochaient, afin d’encercler les criminels, de les juger et de leur infliger la peine maximale.
Le tort causé aux Palestiniens dans leur lutte existentielle contre leur ennemi ne découle-t-il pas d’une mauvaise utilisation de l’outil juridique dans tous les forums internationaux?
Les Africains disposent de plusieurs options et de divers mécanismes pour faire face à l’occupation de la terre et à l’oppression du peuple palestinien, tels que le poids économique, la pression politique, le blocus médiatique, et surtout la rupture diplomatique.
Mais tout ce travail nécessite de créer des conditions objectives, parmi lesquelles figure la nécessité d’accroître la mobilisation de l’opinion publique sur la question palestinienne. Cela commence par déconstruire la narration sioniste, réfuter et invalider leurs récits trompeurs, le tout en remodelant l’opinion publique africaine sur l’histoire authentique du peuple palestinien et de sa lutte contre l’occupant. C’est là que le courant islamique africain joue un rôle crucial en redoublant d’efforts pour mobiliser les forces vives afin qu’elles se rangent aux côtés des Palestiniens. Cela pourrait changer beaucoup d’équations concernant le soutien à la Palestine sur le continent.
Question: Nous avons assisté à un changement au Sénégal avec la victoire de l’opposition aux élections. Comment l’opposition sénégalaise a-t-elle réussi cela?
La transition politique pacifique qui a eu lieu au Sénégal le 24 février 2024 peut sembler surprenante à un observateur non familier avec la situation sénégalaise. Mais en observant de près la scène politique sénégalaise, on peut voir que cela résulte d’accumulations d’actions politiques calmes et mesurées, commencées en 1980, lorsque l’ancien président sénégalais, Abdou Diouf, a pris le pouvoir des mains du premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, avec une grande fluidité.
Depuis cette date, l’option démocratique, incarnée par l’alternance pacifique du pouvoir, s’est enracinée, de la plus haute sphère de l’État à la base politique représentée par les municipalités, ce qui fait du Sénégal l’un des rares pays au monde à avoir trois présidents encore en vie, ayant accédé au sommet du pouvoir politique et l’ayant quitté par les urnes.
Mais cette pratique politique, qualifiée de civilisée, n’aurait pas été possible sans des accords sociaux et politiques entre les forces politiques actives au Sénégal, qui sont devenus aujourd’hui une partie intégrante de la culture politique sénégalaise. C’est ce qui a permis aux Sénégalais de surmonter de nombreux obstacles, y compris ceux qui ont précédé les récentes élections présidentielles, lorsque la situation était extrêmement tendue.
Ainsi, les raisons du succès dans l’évitement du gouffre ne sont pas seulement dues à l’opposition politique, mais aussi à des traditions et une culture profondément ancrées dans la société sénégalaise, dont la principale est l’aspiration à la paix et au consensus sur les questions cruciales, résultant de multiples points de convergence entre les différentes composantes du peuple, ainsi qu’un mélange social qui préserve l’unité du peuple contre les divisions. En outre, le facteur principal est la dimension islamique qui constitue un ciment social permettant de maintenir la cohésion nationale à grande échelle.
Question: Le Sénégal peut-il se débarrasser du néocolonialisme français? Et sur quoi comptez-vous pour y parvenir?
Tout envahisseur, même s’il a duré mille ans, doit partir un jour, et tout occupant, aussi brutal et destructeur qu’il soit, est destiné à quitter les lieux. L’histoire est remplie de preuves qui confirment cette règle inéluctable. Ainsi, l’occupation française du Sénégal a pris fin dans sa première phase, et voici que la seconde phase, marquée par l’occupation économique et l’imposition d’un modèle culturel à une classe très restreinte de la population à travers la langue française, est en train de s’éroder.
Si l’on observe la situation à travers le prisme des réalités actuelles, avec ses événements et ses changements, on voit clairement que la présence française est en déclin, comme l’indiquent plusieurs signes. Parmi ceux-ci, il y a le fait que la France est un État en crise intérieure, ce qui diminue son influence mondiale.
Le second facteur réside dans la montée de la conscience au sein du peuple sénégalais en général, et des jeunes générations en particulier, ce qui se reflète dans l’augmentation des revendications pour la récupération de la souveraineté économique et culturelle, comme en témoigne le slogan « France dégage », qui est devenu aujourd’hui l’hymne de la rue et le mot d’ordre de l’époque.
Les générations de dirigeants politiques, culturels et économiques qui dominent la scène dans les pays africains, et qui se caractérisent par leur loyauté absolue envers les puissances occidentales, sont espèces en voie de disparition. Cela représente une occasion favorable pour effectuer des changements dans de nombreux pays africains.
Ainsi, le Sénégal mise sur plusieurs facteurs pour se débarrasser du reste de l’influence française, économiquement et culturellement, après s’être libéré de l’influence politique. La France n’est plus en mesure d’imposer ses choix politiques. Parmi ces facteurs, nous en choisirons trois pour leur signification :
1. La désillusion des nouvelles générations: Les générations actuelles ne sont plus sous l’influence du modèle français et ne sont plus éblouies par lui, car le mythe de sa prétendue supériorité s’est effondré, notamment en ce qui concerne la vision de la vie et les valeurs civilisationnelles.
2. L’existence d’alternatives économiques et culturelles: Les Sénégalais disposent aujourd’hui de diverses options dans les domaines économiques et culturels, leur offrant une grande marge de manœuvre, contrairement à la situation antérieure.
3. Le succès du courant islamique réformiste: Au cours des soixante dernières années, le courant islamique réformiste a réussi à démasquer le modèle occidental en général, et français en particulier, en brisant l’aura de supériorité qu’il s’était attribuée. Ce discours a trouvé un écho même au sein du courant francisé et imprégné des valeurs laïques hostiles à la religion et opposées à son modèle.
Question: Quelles leçons les peuples musulmans et arabes peuvent-ils tirer de l’expérience sénégalaise? Comment l’opposition dans les pays arabes peut-elle remporter les élections en s’inspirant de l’expérience sénégalaise?
On constate que le modèle sénégalais, dans la gestion de l’alternance pacifique du pouvoir, avec une souplesse qui frôle une pratique politique marquée par un degré considérable de raffinement civilisationnel, a attiré l’attention du monde entier, d’Est en Ouest. Cependant, son impact est encore plus significatif dans le monde islamique, et ce pour deux raisons:
1. La soif de liberté: Les peuples de cette région du monde, durement éprouvée, aspirent à ce genre de libertés et de pratiques qui permettent de choisir leurs dirigeants à tous les niveaux sur la base d’un consensus collectif et conformément à un contrat légitime qui reflète la réalité de la société, ses besoins et ses aspirations.
2. L’influence islamique: Cette expérience est également marquée par une empreinte islamique, puisque certains des nouveaux dirigeants politiques ont une arrière-plan islamique et que la jeunesse islamique a largement contribué au succès de cette nouvelle expérience.
Quant à la manière dont ce modèle peut être adopté et appliqué dans les pays arabes, la question nécessite une réflexion approfondie et la prise en compte des spécificités locales.
Je suis convaincu que la vague de soulèvements qui a traversé les pays arabes, connue sous le nom de Printemps arabe, et qui a débuté fin 2010, n’est qu’une première vague, et que d’autres vagues suivront, de manière successive ou simultanée. Le facteur temps n’est pas déterminant dans ce processus.
La rue a pris le relais de l’opposition politique traditionnelle, autrefois incarnée par les partis, alliances et coalitions politiques de diverses orientations. Par conséquent, ceux qui sauront comprendre ces nouvelles dynamiques et les gérer avec compétence réussiront à mener les prochaines batailles de transformation politique.
L’intérêt des peuples pour les phénomènes positifs se produisant dans le monde, notamment dans cette partie du monde islamique, est un signe éclatant que le désir de changement est bien présent chez les peuples musulmans. Cela impose aux porteurs du projet réformiste dans le monde arabe d’étudier avec soin et profondeur ce qui se passe dans d’autres régions, proches ou lointaines, afin de s’en inspirer. Parmi ces phénomènes, l’expérience sénégalaise est en tête de liste.
En guise de dernière observation, je souhaite offrir un conseil aux porteurs du projet réformiste islamique dans le monde arabe: je les invite à une révision complète, inclusive et sérieuse des fondements intellectuels de leur projet réformiste. Cela les oblige à porter un nouveau regard sur les sociétés dans lesquelles ils évoluent, à prendre en compte les changements sociaux et culturels survenus dans ces communautés, tout cela sans renier leur expérience historique ni abandonner les principes qui les fondent.
Question: En revanche, nous avons assisté à des coups d’État ou des révolutions contre les gouvernements au Mali, au Niger et au Burkina Faso, des pays autrefois liés à la France. Quelles sont les origines ou les raisons derrière ces révolutions ou ces coups d’État?
Ce qui se passe dans ces pays, ces bouleversements et ces événements douloureux, peut être attribué à trois facteurs essentiels:
1. Les séquelles du rôle destructeur de l’occupation française, avant et après l’indépendance. Ce rôle a semé des bombes à retardement qui explosent au moment opportun pour causer les effets désirés. Naturellement, cela a conduit à la fragilité structurelle de ces États et à l’affaiblissement de leurs institutions.
2. L’aggravation des crises successives depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui. Les peuples de ces pays n’ont jamais connu de moment de répit, et leurs rêves de stabilité sociale et d’essor économique se sont transformés en une série de catastrophes dévastatrices et de cauchemars récurrents.
3. L’émergence d’une prise de conscience croissante et le rejet de la domination étrangère. Ce désir de se libérer de l’emprise étrangère s’est propagé dans toutes les couches de la société, jusqu’aux casernes militaires.
Tous ces facteurs, et d’autres encore, expliquent la persistance de la spirale des coups d’État. Cependant, cette fois-ci, nous sentons une nouvelle impulsion, ce qui pourrait indiquer que ce mouvement, et les futures actions sociales qui en découleront, prendront une nouvelle direction. Cela pourrait aboutir à un changement bénéfique dans le cadre des transformations structurelles que traverse actuellement la région.
Le pouvoir politique militaire peut-il apporter des changements et un renouvellement dans la structure des États africains, de sorte qu’ils se libèrent du néocolonialisme sans tomber à nouveau dans ce piège? En d’autres termes, certains pays africains se libéreront-ils d’un colonialisme occidental pour entrer dans un colonialisme russe ou chinois?
Oui, on peut dire que ce risque existe. Tout choix stratégique pour le développement qui repose sur le soutien extérieur est risqué, comme on le voit avec le modèle chinois, qui constitue également un danger, à long terme, pour l’avenir des peuples et la souveraineté des États africains. Pour éviter de tomber dans ce piège, ce choix ne doit pas être considéré comme stratégique ; au contraire, il faut se concentrer sur un partenariat fondé sur le choix, l’acceptation et le rejet en fonction des intérêts.
Cependant, il est important de souligner qu’une action politique véritable, sincère et bien intentionnée, qu’elle soit civile ou militaire, peut apporter des avancées même dans des contextes de crise, comme celui que vivent les peuples arabes et musulmans en général. Mais cela nécessite de remplir certaines conditions méthodologiques, notamment la capacité à comprendre et à bien gérer la nouvelle mentalité qui prévaut aujourd’hui parmi les jeunes, qui constituent l’épine dorsale de tout projet de changement positif. Il est impératif de reformuler les visions politiques non seulement en fonction de la réalité actuelle, mais aussi en tenant compte des attentes et des exigences futures. Les contradictions fondamentales présentes dans les sociétés arabes, en termes de conceptions idéologiques et de réceptivité aux influences extérieures, doivent également être prises en compte.
Je suis convaincu que la vague de soulèvements qui a secoué les pays arabes, connue sous le nom de Printemps arabe, et qui a débuté fin 2010, n’est qu’une première vague, et que d’autres suivront, successivement ou simultanément. Le facteur temps n’est pas pertinent dans ce processus.
Il convient de noter ici que nous avons été largement trompés par l’Occident lorsqu’il nous a présenté le système démocratique comme la solution miracle aux déséquilibres dans nos pays en matière de régulation du pouvoir et de choix des dirigeants à tous les niveaux, tout en préservant tout cela dans le cadre d’un consensus commun. En revanche, ils ont travaillé de toutes leurs forces pour ancrer des concepts corrompus en matière de gouvernance, permettant à des personnes extrêmement corrompues de prendre le contrôle des affaires, ce qui a conduit à des catastrophes renouvelées dans nos pays. Nos peuples en paient aujourd’hui le prix fort en raison de la propagation de ces maux.
Question: Les coups d’État et les développements politiques et économiques récents en Afrique, dans tel ou tel pays, sont-ils des signes que le continent noir commence à tracer son chemin vers la réalisation de ses propres intérêts et de ceux de ses peuples ?**
Les développements politiques et économiques tumultueux en Afrique sont en général de bons indicateurs pour mesurer l’impact profond de ces événements. Ils montrent qu’un changement est en cours, et il pourrait être bénéfique pour les peuples si l’on examine la situation à la lumière de plusieurs facteurs.
L’un des principaux facteurs est l’expansion continue de la prise de conscience, ainsi que la compréhension des défis et la large diffusion de l’information. Cela pourrait renforcer le courant de la conscience et une gestion efficace des grandes questions à partir des intérêts propres, ce qui signifie qu’il est impossible de manipuler les peuples ou de créer un fossé entre eux et leurs dirigeants, comme cela s’est produit au Niger avec l’uranium et au Sénégal, où les Français ne participent ni à l’extraction ni à la vente du pétrole et du gaz, ainsi qu’au Mali, avec l’annulation des accords et des traités… Tous ces éléments sont des indicateurs qui doivent être étudiés attentivement.
Question: Quels rôles jouent les dirigeants et les peuples africains dans les transformations en cours en Afrique?
Il y a un phénomène notable sur lequel nous devons nous pencher: les générations de dirigeants politiques, culturels et économiques qui dominaient la scène dans la plupart des pays africains, et qui étaient caractérisés par leur loyauté absolue envers les puissances occidentales, ont presque disparu. Cela a permis l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants moins influencés par le modèle occidental. Ces dirigeants sont aujourd’hui aux commandes, en particulier dans le domaine politique, ce qui représente une opportunité favorable pour apporter des changements dans de nombreux pays africains.
Je pense également qu’il existe plusieurs facteurs derrière cette vague de transformations, principalement le secteur des jeunes, qui est aujourd’hui au cœur de l’arène politique avec de nouvelles équations. L’une des principales est que la rue a désormais pris le rôle de l’opposition politique traditionnelle, autrefois représentée par les partis, alliances et coalitions politiques de diverses orientations. Par conséquent, ceux qui comprennent bien ces nouvelles dynamiques et savent les gérer réussiront à mener les prochaines batailles de transformation politique. Cet aspect a été bien compris par certains jeunes dirigeants politiques au Sénégal, et il pourrait se produire des évolutions similaires dans des pays voisins du Sénégal dans un avenir proche.
Question: Il y a une tendance à la coopération entre l’Occident, l’Asie et les pays arabes avec des pays africains. Sommes-nous témoins d’une nouvelle naissance de l’Afrique en tant que modèle de sortie du sous-développement vers le progrès par l’autosuffisance, ou assistons-nous à une révolte suivie d’une continuité du statu quo?Comme nous l’avons mentionné précédemment, les dirigeants et les peuples africains ont aujourd’hui des options en ce qui concerne les relations économiques, qui étaient jusqu’à présent un domaine fermé dominé par les Occidentaux, qui imposaient leurs conditions, et qui servaient de levier pour les relations politiques et autres.
Dans le contexte actuel, un observateur de la situation en Afrique peut remarquer qu’un changement est en train de se produire, et qu’il se développe rapidement. Nous assistons à l’émergence de nouvelles puissances qui traitent avec les pays africains selon un nouveau modèle de partenariat, qui est totalement différent de la relation traditionnelle entre l’Afrique et les pays occidentaux.
Tout choix stratégique pour le développement qui repose sur le soutien extérieur est risqué, comme on le voit avec le modèle chinois, qui constitue également un danger à long terme pour l’avenir des peuples et la souveraineté des États africains.
Question: La question essentielle est la suivante: cette relation peut-elle libérer les pays africains de la dépendance économique vis-à-vis des pays occidentaux, sans qu’ils tombent dans les griffes d’autres nations aux ambitions tout aussi dangereuses?
Cela est possible selon une approche réaliste et en fonction de la direction que prennent les nouvelles relations, avec la multiplicité des partenaires. Cependant, nous pensons que la nouvelle expérience en cours en Afrique pourrait être différente de ce que nous avons vu auparavant. Toutefois, je crains qu’il ne se produise dans la région ce que j’appelle une « moyenorisation de l’Afrique de l’Ouest » à travers une croissance économique superficielle (routes goudronnées, hôtels luxueux, un mode de vie confortable…), tout cela pour faciliter le pillage des ressources sous de nouvelles formes. Cependant, je me rassure en me disant que les circonstances ont changé et que les conditions sont différentes.
Ce qui m’inquiète vraiment, c’est la rhétorique alarmante que j’entends de temps en temps, comme en témoignent les déclarations documentées de généraux et de décideurs politiques en Occident, qui menacent de recourir à la force dans les dix prochaines années pour contenir ceux qui tentent de briser le joug de la dépendance, ramenant ainsi les choses à leur point de départ.
Question: Quels sont les domaines dans lesquels vous pensez que les penseurs et intellectuels arabes et africains peuvent collaborer? Et pourquoi ne voyons-nous pas d’institutions et d’organismes régionaux qui servent les intérêts à court et à long terme des deux parties?
Je ne pense pas que les penseurs et intellectuels de différentes régions du monde, issus de milieux intellectuels disparates, partagent autant de points communs que les penseurs africains et arabes. Il suffit de considérer la proximité géographique de ces deux groupes, répartis sur deux continents adjacents, pour constater l’étendue des liens historiques, linguistiques, culturels et spirituels qui les unissent. Il est également important de rappeler que l’arabe est une langue africaine, reconnue au plus haut niveau des forums africains.
Cependant, il est regrettable que les adversaires des deux groupes aient réussi à ériger de hauts obstacles entre eux, au point que la communication entre eux se fasse souvent à travers la langue et la culture de l’occupant, plutôt que par un dialogue direct.
Pour surmonter cette difficulté, après l’échec des efforts des entités culturelles et des associations littéraires officielles, qui ont été vidées de leur contenu ou paralysées, je tends à appeler à la création de nouveaux modes d’interaction, capables de briser la glace et de répondre aux besoins des deux côtés dans leur démarche vers l’autre, avec amour et confiance, ce qui pourrait aboutir à une harmonie et une fierté mutuelle.
En ce qui concerne les domaines de collaboration, l’éducation semble être le plus large et le plus efficace, à condition qu’elle soit envisagée sous un angle nouveau, axé sur le développement humain et sur la fourniture des outils nécessaires à la compétition civilisationnelle. Il est également impératif de lancer des projets pour promouvoir la langue arabe et les langues islamiques qui lui sont associées. Par ailleurs, il est crucial de travailler sur des projets axés sur la pensée de la renaissance et ses exigences fondamentales. Pour construire ces ponts intellectuels et culturels, il est nécessaire d’organiser des foras pour encourager le dialogue.
Je voudrais compléter ce point en lançant un appel chaleureux, par le biais de cette plateforme à large audience (Al Jazeera Net), aux détenteurs de capitaux, qu’il s’agisse d’institutions ou d’individus, pour qu’ils se tournent vers l’Afrique en général et vers l’Afrique de l’Ouest en particulier, où se trouvent des opportunités d’investissement rentables. En le faisant, ils contribueront à un projet de renaissance de la nation de la manière la plus large.
Question: Quel est votre point de vue sur la Bataille du déluge d’Al-Aqsa en termes de motivations, de contexte et de résultats?
Parler de cet événement majeur, qui résonne à travers le monde – la «Bataille du déluge d’Al-Aqsa» – et de ses répercussions tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, est un sujet qui me tient à cœur et qui, à l’avenir, nécessitera des études approfondies et des analyses détaillées pour en comprendre les tenants et aboutissants.
Après avoir examiné cet événement «Déluge d’Al-Aqsa» sous les angles historique et spirituel, je pense que la meilleure façon de le décrire est de dire qu’il s’agit d’une manifestation d’action civilisationnelle, avec des méthodes et des mécanismes inhabituels. C’est cet aspect de l’événement qui a déconcerté l’ennemi, le laissant sans recours face aux mesures sur lesquelles il comptait dans ses conflits existentiels avec nous, et l’amenant à se replier sur son stock de haine pour se lancer dans une aventure visant à anéantir Gaza en tant qu’entité et en tant qu’histoire… En vain.
Il est dans la nature des choses que des événements apparemment mineurs dans la vie des hommes puissent avoir des répercussions majeures, même si ceux qui les ont initiés ne réalisent pas immédiatement leurs conséquences, comme ce fut le cas pour ces jeunes qui ont franchi les frontières avec des moyens modestes, mais entre des mains sûres, ce matin-là, qui s’est ajouté aux jours de Dieu inscrits dans les annales de l’histoire humaine.
Un conseil que je donne aux porteurs du projet réformiste islamique dans le monde arabe: je les appelle à entreprendre une révision globale, complète et sérieuse des fondements intellectuels de leur projet, ce qui les obligera à effectuer une nouvelle lecture des sociétés dans lesquelles ils évoluent.
Le point de départ: ce qui s’est passé est le fruit du renouvellement du jihad pour vaincre l’ennemi envahisseur dans ses formes les plus précises et les plus claires.
Le contexte est celui décrit par le Coran avec ces mots : «Lorsque la terre revêtit son apparat et qu’elle se para, et que ses habitants pensèrent qu’ils en étaient maîtres, notre ordre vint de nuit ou de jour, et nous en fîmes une moisson, comme si elle n’avait jamais existé la veille».
Quant aux résultats, la bataille du déluge d’Al-Aqsa – quelle que soit son issue immédiate – marque le début de la fin du rêve occidental le plus dangereux: planter un corps cancéreux au cœur du monde islamique. C’est le début de la destruction de la promesse de Balfour.